S.C. : L’idée vient en fait de quelqu'un qui a toujours été fou de Sœur Sourire. Il avait commencé le projet en 1989, et m’avait déjà contacté en 1991 pour faire le film, mais j’ai toujours refusé parce que le scénario ne parlait que de la misère, de ses problèmes financiers, et du conflit avec le couvent qui avait volé l’argent. Je ne m'intéresse pas aux problèmes financiers des gens. Ça m’emmerde. Et puis, en 2003, le producteur Jan Van Raemdonck m’a demandé ce que je proposais. J’ai dit que je voyais une histoire d’amour. Le sujet, pour moi, c’est une jeune femme qui est à la recherche de l’amour, qui est en manque d’amour. Ce n’est pas un film sur deux lesbiennes, mais il y a quand même le thème de l’homosexualité et ça, c’est un sujet très important aujourd’hui.
En plus, Jan Van Raemdock voulait me présenter Cécile De France, que je connaissais de nom, mais que je n’avais jamais rencontrée. Lorsqu'on s'est vu à Paris, elle m’a dit qu’elle avait vu Daens et qu’elle voulait faire un film avec moi, alors que je n'avais même pas encore de scénario ! Elle m’a dit : « Si tu le réalises, je veux le faire ». Alors j’ai répondu : « Si tu le joues, alors je le fais. » Depuis ce jour-là, on s’est tenu au courant de nos disponibilités, on a dû reporter plusieurs fois et elle disait « merde » ! Finalement, fin avril et début mai, on a pu convaincre les co-producteurs français et c’était parti.
S.C. : Le scénario a été écrit pas Chris Vander Stappen, avec qui j’ai travaillé de 2003 à 2007, et par Ariane Fert, une scénariste française qui est venue m’aider. J’ai écrit une partie aussi, mais en général, je relisais et je changeais quelques passages. Le mérite revient à ces deux dames.
S.C. : Le côté historique m’intéresse beaucoup comme base. Si la base n’est pas intéressante, il n’y a pas de raison de faire un film. Mais la différence, c’est que dans un documentaire, on se rapproche du sujet, donc cela ne sert à rien de changer la réalité. On peut avoir un point de vue, mais c’est tout. Dans la fiction, on peut aller plus loin qu’avec le seul côté historique. Si j’avais suivi l’histoire de Sœur Sourire à fond, les gens se seraient ennuyés, j’en suis sûr. Ce qu’on attend d’une fiction, c’est l’histoire, et d'être lié au personnage. Il faut que le caractère soit intéressant. C’est pour ça que Cécile De France était tellement importante, parce que c’est une comédienne formidable, avec un caractère très fort, et ça se sent dans le personnage. Quand je regarde les images d’archives, mon avis est que Sœur Sourire n’est pas très attractive. Si j’avais dû faire un casting, je ne l’aurais jamais prise pour jouer son propre rôle. Elle n’avait pas le charisme pour pouvoir garder un public toute sa vie, il est donc évident qu’à un certain moment, elle ne pouvait plus avoir de succès. Elle a eu du succès comme les grands musiciens, mais ses textes n’ont pas le contenu de ceux de Jacques Brel, Elvis Presley ou Paul Mc Cartney. C’est incomparable. Pour moi, le succès est un fait historique très intéressant, mais je ne peux pas embêter un public qui veut voir un film de fiction avec une histoire inintéressante.
Mon point de vue dans la fiction, c’est l’amour, et pas l’argent. Au dernier moment, j’ai quand même dû, à la demande de certains producteurs, ajouter un petit quelque chose sur l’épisode des impôts.
S.C. : Evidemment. On s’est amusé avec les décorateurs et le chef costumier à créer et représenter les années 60. Dans le film, on a aussi procédé aux changements entre 1959 et 1960. On a essayé de restituer l’évolution jusque 1967. L’histoire continue après, mais on ne dit plus l’époque à laquelle on est, parce que l’histoire se répète : elle veut rechanter, ça ne marche pas, alors elle est triste et elle boit, et ainsi de suite pendant près de 20 ans. C’est un peu comme si on était dans l’éternel.
Donc l’histoire s’arrête un peu après 67, mais on ne dit plus la date exacte, elle reste jeune. La plupart des gens savent qu’il y a eu un double suicide, mais j’ai senti que ce n’était pas nécessaire de vieillir Cécile De France, c’était inintéressant.
S.C. : C’est le manque d’amour qui provoque toute l’histoire. Et c’est ce qui s’est réellement passé, donc on s’est servi de la réalité, mais sans dire que l’on a tourné des séquences biographiques exactes. Je ne dirais jamais que cela s’est exactement passé comme ça, c’est pour ça que c’est de la fiction. Mais le manque d’amour de la mère est mal communiqué, et ce problème existe toujours aujourd’hui. On peut faire un effet de miroir entre l’écran et la vie d’aujourd’hui. Les gens reconnaissent des choses.
S.C. : Oui, et dans tous mes films, on parle un peu de cela. Il y a toujours un thème qui revient : l’amour. Dans la vie, il y a toujours l’amour, donc ce qui me plaît, c’est raconter une histoire d’amour, mais dans un contexte différent.
Je suis très heureux d’avoir pu faire ce film, cela a été un réel plaisir.