Cependant, jamais chez lui, le sujet ne l’emporte sur les personnages. Et s’il faut raconter une histoire et donc prendre quelques libertés avec une description froidement objective du réel, jamais ce devoir n’éclipse une fondamentale honnêteté. Par rapport à ses personnages, le travail de Manu Bonmariage se résume en deux mots : empathie et respect.
Autre parallélisme: Thierry Michel se voit consacrer un très impressionnant coffret sur son cycle congolais, et Manu Bonmariage est le héros d’un fort beau double DVD survolant vingt ans de carrière. Les éditeurs ont plongé dans l'œuvre foisonnante du cinéaste et intelligemment retenu quatre films charnières.
Le premier, Allo Police, date de 1987 : d’avant Strip Tease, donc. Manu y suit le travail d’un commissariat carolo. Avec les policiers, il part sur le terrain à la rencontre de cette étrange clientèle qui hante les couloirs d’un poste de police. Il les regarde, les écoute, témoigne de leur détresse, capte le désarroi des policiers, qui doivent souvent faire face, dans l’improvisation, à des situations auxquelles ils ne sont pas préparés. Et derrière ces portraits, il y a le constat d’une société en pleine mutation, en perte de valeurs, rongée par le chômage et la misère.
Cinq ans plus tard, avec Les Amants d’assises, Manu Bonmariage quitte l’anecdotique pour rentrer dans le narratif, mais toujours dans l’optique du constat social. Durant tout un procès, il suit les accusés : deux amants qui se sont débarrassés du mari gênant. C’est un portrait, comme l’on dit en justice, "sans haine et sans crainte". Pourquoi en arriver là ? Comment l’amour peut-il survivre à un tel acte, et à la machinerie d’un procès d’assises, avec son théâtre, ses pressions ? Comment les amants supportent-ils la séparation, eux qui ont tant fait pour être ensemble ? Sans parti pris, le cinéaste cherche à comprendre et nous fait partager le ressenti de ce couple maudit. En filigrane, bien sûr, le rapport à la morale, à la justice, à la société. Le drame y flirte souvent avec le mélodrame, mais c’est sans doute le prix à payer pour la sensibilité du portrait, étonnamment parlant à nos âmes ordinaires.
Vient ensuite Baria et le grand mariage. Manu Bonmariage quitte son terroir pour aller filmer, à Marseille et aux Comores, le destin d’une petite fille des îles, élevée dans la cité phocéenne mais promise à un mariage traditionnel avec quelqu’un qu’elle n’a pas choisi et qu’elle n’a jamais vu. Dans ce film, deux cultures se frottent l'une à l’autre avec la question lancinante des limites de cette fusion, ou de cet écartèlement. Manu Bonmariage va suivre, au plus près, ce "grand mariage" depuis sa préparation marseillaise jusqu’à son accomplissement comorien. Il met en scène de véritables personnages : la marieuse, le marié, le frère, la mère, la grande sœur et, bien sûr Baria. À travers l’étourdissement permanent de la fête, dans laquelle se fond la caméra, toujours on en revient au visage de cette petite adolescente de seize ans. Elle n’est pas très loquace, Baria, mais sur sa figure, on lit comme dans un livre ouvert la prise de conscience progressive de ce que ce mariage va représenter pour elle en termes de changement. Le visage de son personnage principal, c’est le fil rouge du film, émouvant, révélant davantage que tous les mots qu’il eut été possible d’écrire sur un pareil sujet. Baria est l’illustration parfaite du cinéma de Manu Bonmariage. Son talent, sa marque de fabrique, c’est d’abord la force des images. Doué d'un regard aiguisé, il n'a pas son pareil pour dénicher les détails qui parlent, les sélectionner, les mettre en place. Si le spectateur sait aller voir dans les coins, il en goûtera toute la saveur.