Dans la continuité de leur précédent film, Lietje Bauwens et Wouter De Raeve installent un cadre clair à leurs protagonistes, issus ici des milieux associatifs. Ceux-ci seront incarnés par des acteur.ice.s, briefés et nourris de leurs expériences pour que les acteur.ice.s eux-mêmes puissent tenter par la fiction de trouver des solutions aux problématiques du réel. Mais si ce cadre avait été bénéfique dans le cas de leur première expérience, celui-ci s’avère ici rapidement limitant. Comme si les enchevêtrements de la réalité rattrapaient sans cesse l'apparente simplicité de la fiction.
De cette never-ending love story faites de moments joviaux, mais aussi de déconfitures, il ressort rapidement que les implications sont désormais trop lointaines, la marge de manœuvre trop faible. Malgré les efforts des différentes parties prenantes, y compris les cinéastes, l’histoire semble amenée à se répéter. Loin cependant de blâmer les associations de quartier et les activistes, Lietje Bauwens et Wouter De Raeve choisissent de suivre leurs propres injonctions, celles qui sont à l’origine de leur démarche: prendre du recul. Tenter de comprendre le tout pour mieux pouvoir en analyser les parties et leurs implications, qu’elles soient passées, présentes ou futures.
Car l’histoire de leur WTC, où ils ont vécu pendant plusieurs années, c’est d’abord celle d’un projet pharaonique déjà contesté dans les années 1970. Un chantier dont l’actualité est toujours brûlante. Un plan urbanistique visant - selon ses défenseurs de l’époque - à amener le quartier vers un avenir meilleur, et où les tours devaient tenir le rôle principal. Un “projet Manhattan”, auréolé d’idéaux, mais porteur comme son funeste homonyme de destruction et de violences dont les cicatrices n’ont pas disparu aujourd’hui. Le parallèle est glaçant.
Au prisme de cette plongée dans le passé, que les cinéastes nous donnent à voir au travers de leur dispositif en intégrant des personnalités ayant vécu les événements, les constats ne sont pas réjouissants. Jadis virulentes et décisionnaires, les associations de préservation de Bruxelles fondées naguère pour éviter “un deuxième Quartier Nord” sont aujourd’hui engluées dans les dossiers et dans la paperasse, en sous-effectif. Quand elles n’ont pas tout simplement perdu la confiance de leurs pairs, du fait de contacts trop étroits avec les promoteurs immobiliers et les institutions.
Une violence sourde et procédurale a désormais remplacé la brutalité des évictions. Une violence tissée d’accords conclus entre deux couloirs, faite de pactes tacites, sans pour autant que celle-ci soit moins néfaste pour la Cité, à tous les sens du terme.
Il faut toute la finesse des cinéastes, servis par un montage millimétré et une musique envoûtante, pour transmettre les multiples facettes de ce sujet plus qu’épineux. Et l’on sent, dans ce film comme le précédent, tout ce que leurs formations respectives - la philosophie pour l’une, l’architecture pour l’autre - ajoutent au propos. Une œuvre duelle passionnante dans son fond comme dans sa forme, où la réussite comme l’échec des questionnements apportent toujours plus de sens à la démarche.