Olivier Smolders y revient dans Voyage autour de ma chambre en précisant que l'évocation du temps est liée davantage aux images argentiques (la pellicule), tandis que les pixels de l'image numérique nous promènent, par leurs bonds dans l'espace, dans l'instantané planétaire.
L'auteur poursuit ses investigations sur la narration. Le livre peut être écrit et lu « au gré de multiples diagonales », on peut y joindre « tous les apartés, les digressions, les chemins de traverse ».
« Je rêve souvent de réaliser des films qui s'affranchiraient des contraintes narratives, qui persuaderaient le spectateur de se laisser aller à un rythme inattendu, à un autre type de lecture que celui auquel il est habitué. »
Smolders imagine des « règles narratives arbitraires » avec une temporalité circulaire, le film se terminant où il a commencé. Onze cercles. Le premier, sur le placenta. « On ne m'enlèvera pas de l'idée que l'accouchement est une opération chirurgicale d'une violence inouïe, qui vise à séparer un corps en deux parties, faisant le pari insensé que chacune d'elle pourra se débrouiller pour vivre de façon indépendante ».
Le onzième nous vaut un beau texte, flaubertien en diable (Novembre et L'Education sentimentale) qui possède la vie et la grâce de Pierre, ami d'enfance, casse-cou complémentaire au côté réservé d'Olivier. Il nous donne à penser qu'il serait difficile de transcrire en image (sauf en voix-off) les phrases inspirées par l'affect de Smolders.
Un addendum pas nullard, pas bling-bling, pas nostalgique, de chez Dada ou presque. Olivier Smolders collectionne « les bribes du gai savoir que ne renierait sans doute pas Bouvard et Pécuchet. Où ça, où ça ? Please ! Sur Internet, of course, « Théorie des catastrophes du regretté René Thom à la théorie du silence (« la meilleure, imparable »), en passant par la théorie paranoïaque critique (notre préférée), la théorie quantique (Mr Nobody de Jaco Van Dormael vous y invite). On vous laisse découvrir avec ravissement les 15 autres.
Mais Voyage autour de ma chambre, c’est aussi 26 minutes d'une trilogie de moyens métrages qui démarre avec Mort à Vignole et se termine avec Petite anatomie de l'image.
Le départ à Venise à la suite du deuil d'un enfant retrace la ligne de fuite de l'existence, de la naissance à la mort, et mène Olivier Smolders dans Mort à Vignole. En quittant un cimetière, il découvre une salle de dissection où gisent des corps survivants dans le formol. Le corps comme sanctuaire d'une identité que le temps d'une vie envoie de l'amour au deuil dans bien des traverses et des rêves. « Filmer des morts, écrit-il 2, c'est commencer à dominer sa peur. Non celle de mourir ou de voir mourir, mais celle d'imaginer qu'on puisse être abandonné par un corps qui ne veut plus de nous, et qui se défait, nous laissant plus seuls encore que nous ne l'avons été ». Au-delà du corps de David, en marbre, de Michel-Ange que photographient des milliers de touristes, filmer des corps morts ne consiste-t-il pas à filmer le mécano qui nous articule dans la vie ? C'est ce que découvre, dans une galerie, Olivier Smolders, confronté à l'exposition de corps issus d'une dissection, des anatomies peintes en couleur. Le réalisateur nous conduit de l'indice de la réalité (vrais corps dans le formol) de Mort à Vignole à sa représentation, via l'art créatif de la statuaire, en poursuivant un parcours original. Un parcours anatomique hors des sentiers narratifs habituels (et l’on sait à quel point le côté narratif circulaire peut l'intéresser).
C'est donc sur cela que dans Petite Anatomie de l'Image se dessine, la mise en abyme autour du corps nu à l'aide des cires reproduisant des enveloppes humaines dépouillées de leur chair , proches de la dissection de Vésale, réalisés par des artistes florentins du XVIIIe siècle. Le tout autour d'un cercle de chapitres, reprenant les théories (à la Bouvard et Pécuchet, diffusé sur Internet de Courbet, Don Juan, D.A.F. Sade, etc.).
Entre beauté et laideur, l'insolite et l'osé n'ont jamais été étrangers à Olivier Smolders à qui l’on doit une biographie de Paul Nougé et un texte sur Eraserhead de David Lynch. Dès lors, il va de soi que le réalisateur ne pouvait qu'apprécier les photographies de Jean-François Spricigo : des cadres singuliers, au contre-champ et au flou qui doivent en énerver plus d'un. Il s'agit de mettre l'ombre en lumière claire obscure… Pas moins.
Lire le livre de Paul Virilio, Le futurisme de l'instant, éditions Galilée.
La Part de l'ombre, Olivier Smolders, éditions Les Impressions nouvelles.
Olivier Smolders, Voyage autour de ma chambre, éditions Les Impressions nouvelles.