Sokuro se décarcasse, il polit des pièces dans une usine mécanique, casque vissé sur la tête pour s’épargner, il aide comme il peut son petit frère à l’heure des devoirs, il paie les factures, il enchaîne les aller-retour dans son pays natal pour voir sa future femme et entretenir la flamme, il trouve de l’argent pour le mariage, il tente de régler les choses pour que sa dulcinée puisse le rejoindre, mais les choses se corsent. Il déçoit sa mère, sa famille, son épouse. Sokuro plie sous le poids des reproches.
Tout ça sur le dos d’un seul jeune homme déraciné. Mathieu Volpe centre sa caméra sur ce protagoniste, Abdoul Soukourou Denne, sur ce corps encore maladroit d’avoir grandi trop vite, sur ces yeux rieurs toujours nostalgiques. Sokuro est dépassé par les événements d’une vie imposée. Il a perdu son travail et c’est une catastrophe parce que sur l’autre continent, son épouse attend.
Il y a quelque chose de la réminiscence d’une exploitation de ceux venus d’ailleurs. On repense à nos grands-parents italiens qui sont venus trimer en Belgique, contre un sac de charbon, pour gagner leur croûte et faire venir la famiglia près d’eux. D’ailleurs, Sokuro filme son travail répétitif avec son téléphone portable, pour ne pas oublier, pour montrer que la vie n’est pas meilleure. « Regardez, ici, c’est difficile. Je vous l’assure. » L’idée n’est pas non plus de retourner au pays là où les perspectives sont encore plus fades, ce serait s’avouer vaincu. Échapper au déterminisme social coûte que coûte. Sauf qu’aujourd’hui, c’est encore plus difficile.
Mathieu Volpe parvient à s’immiscer là où les décisions se prennent. Un trait de visage, un sourire en coin, un œil mouillé, une main maladroite, une ride qui creuse un sillon de tristesse. Il s’approche au plus près de ses sujets, au cœur des relations humaines, familiales, amicales, amoureuses. Il filme les deux tourtereaux qui paradent, parés de leur plus beau costume, tantôt enfants, tantôt confrontés au monde des adultes qui fait pression. Il faut de l’argent. Soldi, soldi, soldi.
Le film parle aussi de celles qui restent là-bas. Rassiratou Guienne, Nassira pour les intimes, l’épouse, doit retourner au village, quitter la ville, ses espoirs. Comme les autres femmes, elle va chercher de l’eau, moud le grain, cultive et cueille. Elle attend, dépendante, elle attend et ne peut rien faire d’autre. Mais, elles se serrent les coudes pour continuer.
Une jeunesse italienne montre celles et ceux qui sont jeunes et déjà lourds du poids d’une vie qu’ils n’ont pas choisie, celles et ceux qui avancent à tâtons en suivant les notes d’Andreas Moulin. Ces jeunes adultes pour qui la patience et la débrouille ne sont pas des options.