La vie d’Anne connaît de fortes complications au moment où sa famille lui révèle que sa naissance prématurée (qui favorisa le développement de son TAS) a été causée par un traitement médical prescrit à sa grand-mère dans les années 1960, à base de cellules hormonales de synthèse : le DES (commercialisé sous le nom de Distilbène, produit qui ne fut jamais évalué ni même breveté). À l’origine conçu pour diminuer les risques de fausse-couche, ce médicament fit scandale lorsqu’on découvrit qu’il entraîna, sur plusieurs générations, des malformations de naissances, des troubles psychiques et des cancers notamment.
Lorsque le secret est dévoilé, quelque chose se brise, ou au contraire éclot dans l’esprit d’Anne. Elle reste proche de sa mère, mais investit toute son énergie à se projeter dans l’univers merveilleux du conte La Petite Sirène, version Disney. Elle en tire presque un contre-récit puisqu’à l’inverse de son héroïne, Anne veut quitter le monde terrestre pour s’épanouir dans le monde sous-marin. Elle ne veut pas s’identifier comme une sirène, mais bien devenir le personnage d’Ariel. Tout y est alors dédié, du costume jusqu’à la coiffure, ainsi que le décor qu’elle ira chercher en Crète, là où la mer est d’un bleu cristallin. Au comble de l’accomplissement, elle parvient à rencontrer un homme, également passionné par l’univers du cosplay, qu’elle accueille dans sa vie comme le prince du film de Disney.
Motivé par une démarche biographique, le récit établi par Guido Verelst est constitué d’une grande variété d’images du quotidien d’Anne, chez elle et à l’extérieur, ainsi que de tout un journal de vidéos d’elle-même prises avec son téléphone. D’autres séquences proviennent du Caméscope familial qui devait tourner à plein régime dans les années 1990. Des scènes d’intimité viennent donc troubler la dynamique très documentaire qu’adopte le film au début, mais redéfinissent également le point de vue à l’égard du récit, et le rapport au personnage d’Anne – nous pouvons parler de personnage puisque l’on sent des intentions de mises en scène et de « fictionnalisation » du réel tout au long du film. Ces mouvements narratifs reproduisent le rythme irrégulier de l’activité intérieure d’Anne, heurtée par des moments de désespoir profond, ou au contraire d’euphorie. Certaines de ses séquences réussissent leur pari d’être embarrassantes puisqu’elles maintiennent le spectateur dans une posture de témoin impuissant, ou même de voyeur embarrassé, puisque les extraits tirés du GSM d’Anne sont véritablement présentés comme des pièces d’un journal intime. Toutefois, dans la plupart des cas, Anne fait des adresses directement au public, si ce n’est pas à de potentiel·les abonné·es sur les réseaux sociaux. Ces changements voire hybridations de modes narratifs laissent perdurer un sentiment de perplexité. On est par ailleurs ébahi par l’attitude imperturbable et très noble de la mère d’Anne, qui veille prudemment et avec une grande pudeur, laissant toutefois le soin à sa fille de vivre selon ses propres règles et de laisser sa liberté s’exprimer.