L'entêtement du responsable de la déportation de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants, ne peut que soulever l'effroyable question de l'abrutissement des masses, de l'assujettissement et de l'aliénation d'un fonctionnaire a priori ordinaire, par une idéologie aussi radicale que le nazisme. Peut-être Eichmann avait-il réellement besoin de deux paires de lunettes, et s'enfonce dans le ridicule lorsqu'il affirme n'avoir pas été immédiatement au courant des atrocités des camps. Mais comment un homme, au nom d'un serment politique et après avoir pris des notes à Auschwitz, peut-il continuer à signer l'arrêt de mort d'un peuple entier ?
Une sorte de dédoublement, comme il définira lui-même son attitude, qui fait que l'on passe, bientôt dans sa propre indifférence, entre deux personnalités malades.
Inspiré du livre de Hannah Arendt Eichmann à Jérusalem, rapport sur la banalité du mal, le documentaire des israéliens Rony Brauman et Eyal Sivan échappe aux règles du genre : dramatisées par le montage et un bruitage qui rappelle souvent le coup de frein final d'un vieux train de marchandises, ces images d'archives, enregistrées en vidéo par Léo Hurwitz et dont la trace fut retrouvée presque par hasard, plongent les spectateurs dans un sentiment de fiction, d'impossible et d'irréel.
C'est le silence, le mutisme, dans la salle de cinéma comme dans les gradins de l'auditoire. Immobile, seul, Eichmann contre le reste du monde.