Trois ans après L’Homme au crâne rasé, André Delvaux puisait à nouveau dans l’œuvre de Johan Daisne et adaptait la nouvelle De trein der traagheid, en conservant principalement la mécanique fantastique, faisant surgir le surnaturel dans une « zone de mort » entre réel et imaginaire, sans brisure de style à l’écran, sans frontière visible entre les deux mondes. Impossible en effet de déceler l’instant précis de la « cassure » lors du voyage de Mathias. Delvaux n’a pas son pareil pour déstabiliser le public avec sa narration non-linéaire (flashbacks, images qui peuvent appartenir – ou pas – à un rêve…), son atmosphère et ses paysages inquiétants, entre Cocteau (on pense notamment au Testament d’Orphée) et les peintures des grands maîtres flamands.
Cette déambulation poético-macabre entre la vie et la mort a créé, du moins au cinéma, le style cher au cinéaste: ce fameux « réalisme magique » qu’il définit comme « un jeu esthétique, spirituel et philosophique, doublé d'une interrogation métaphysique et ontologique ». Mathias se retrouve sans repères dans un parcours qui s’apparente à une descente aux enfers, avec une logique de cauchemar éveillé où notre monde rationnel cède la place à un effrayant « ailleurs ». Delvaux questionne non seulement la brûlante division linguistique de notre pays (avec en sous-texte l’impossibilité de la communication, un thème qu’il abordera également dans Rendez-vous à Bray en 1971 et dans Belle en 1973), mais également le langage du cinéma fantastique, un peu à la manière de Luis Buñuel – et plus tard de Bertrand Blier -, avec ce style austère, ambigu, surréaliste, angoissant et pourtant poétique. Si le film, ouvert à diverses interprétations, nous laisse désarçonnés, voire frustrés à la première vision, il s’insinue pourtant dans nos esprits pour devenir inoubliable.
Il serait difficile et vain de tenter de dresser une liste exhaustive des films qu’Un Soir, un Train a influencés. La moindre scène onirique vaguement insolite vue sur un écran au cours des 55 dernières années trouve un écho dans le chef-d’œuvre de Delvaux, mais de nombreux cinéastes de renom l’ont également cité, que ce soit Fabrice Du Welz (avec la scène de la taverne de Calvaire) ou Christopher Nolan (lors des apparitions du spectre de Marion Cotillard dans Inception). Une grande partie de l’œuvre de David Lynch (Blue Velvet, Twin Peaks, Lost Highway, Mulholland Drive, Inland Empire) semble prolonger les préoccupations thématiques et circonvolutions narratives développées par André Delvaux.
Introuvable sur support physique depuis une éternité, Un Soir, un Train vient d’être réédité en DVD et blu-ray aux éditions Montparnasse. La date de sortie annoncée, le 23 novembre, semble néanmoins avoir été repoussée en décembre. Comme si ce Train devait à tout jamais préserver son mystère…