“Julien c'est ton voisin, Julien c'est ton mari
Julien c'est sûrement l'autre, Julien c'est sûrement lui
(...)
Julien aime les gosses”
D’un Belge à un autre, Damso évoque déjà dans sa chanson Julien la banalité du mal que l’on retrouve dans le film de Joachim Lafosse. Dans le quotidien en apparences sans fioritures d’un riche avocat, tout droit inspiré de l’affaire Victor Hissel, ce conseiller hypermédiatisé qui travailla dans le cadre de l’affaire Dutroux et qui fut condamné pour possession d’images pédopornographiques en 2010. À croire que, après A perdre la raison, Joachim Lafosse est obsédé par les faits divers. À croire surtout que Joachim Lafosse a besoin de se raconter. Après avoir révélé que son film Elève libre, dans lequel un adolescent est abusé et exploité par trois trentenaires, était son histoire, une histoire vraie, il poursuit son récit autobiographique s’attelant alors à autopsier le silence qui le coupa de sa mère des années durant suite à ce drame.
En plus de la forme et du fond, c’est le point de vue qui se fait ici intéressant. À quelques encablures du Polisse de Maïwenn qui nous plongeait dans le quotidien d’une brigade des mœurs. Loin aussi de Elève libre, donc, qui nous plongeait directement au cœur de la manipulation. Ici, Un Silence fait un pas de côté, il prend le parti de nous raconter les réactions des victimes collatérales des actes pédophiles et pédopornographiques du père. La mère d’abord, enfermée dans son mutisme depuis 25 ans et qui cherche à fuir la réalité pourtant là, prégnante. Une situation qui effrite depuis des années sa Familia Grande à elle. Le fils adoptif ensuite, incarné par un déroutant Matthieu Galloux, qui reflète avec subtilité et douleur l’ombre qu’il hérite de son père.
Surprenamment, ce Silence se fait bruyant. Cette étouffante bande sonore qui habille de bout en bout un film qui se veut sans bruit a tout de trop. Paradoxalement, c’est sans doute un parti pris très réfléchi. Voulu. Et fort de sens. Ici, le scandale est noyé dans une ambiance bavarde, dans un brouhaha constant. Médiatique, sociétal, mais aussi privé. Et la musique se fait le paravent d’une réalité insoutenable, qui mériterait pourtant qu’on prenne le temps d’en écouter chaque mot (maux), pour en éprouver la matérialité. Tel un singe de la sagesse, nos sociétés sont sourdes.
Le vent d’espoir ? Il vient d’un simple changement de direction qui nous est annoncé très tôt dans le film: Astrid, au volant de sa voiture (de sa vie ?), met le clignotant pour tourner. Si elle est prudente, donc, marchant sur des œufs en espérant sauver son quotidien privilégié, elle finira par prendre la tangente. Mieux vaut tard que jamais ?