TJ fait la connaissance d’une jeune Syrienne, Yara (la lumineuse Ebla Mari), à qui il propose, par sa gentillesse et sa courtoisie naturelles, de réparer l’appareil photo cassé. C’est le début d’une amitié, mais aussi de projets entre cet homme solitaire, nostalgique d’une époque pas si lointaine, et cette jeune fille qui attend désespérément des nouvelles de son père, prisonnier des geôles du régime d’al-Assad. Yara propose à TJ d’organiser une soupe populaire tous les samedis dans son pub. Une bonne action que TJ décrit comme « De la solidarité, pas de la charité! »… Mais il est partagé entre sa fidélité à de vieux clients qu’il a connus toute sa vie et son refus catégorique de les entendre prononcer des propos racistes à tout bout de champ.
À peine le pied posé hors du bus, Yara est agressée par un hooligan qui l’insulte et casse son appareil photo. Bienvenue en Angleterre! Voilà, résumée en une scène, la note d’intention limpide de Ken Loach, qui, à 87 ans, signe son dernier film (c’est lui qui le dit), qu’il situe dans la même région économiquement éprouvée que les deux précédents, Moi, Daniel Blake (2016) et Sorry We Missed You (2019), eux aussi écrits par le fidèle Paul Laverty. Comme dans les meilleurs longs métrages du cinéaste, il s’agit toujours de dénoncer le sort de travailleurs laissés pour compte, abandonnés par leurs propres dirigeants. Mais cette fois, les démunis viennent aussi d’ailleurs et la cohabitation semble impossible.
Si les injustices sociales remuent toujours autant le vétéran, c’est néanmoins un Ken Loach plus léger, plus sentimental aussi que l’on retrouve ici, à défaut d’être plus apaisé. Comme si, pour son dernier passage derrière la caméra, il avait voulu nous laisser sur une note joyeuse, voire avec un peu d’espoir. Tout en gardant la plupart des éléments qui ont fait le sel du cinéma loachien et malgré quelques épisodes inutiles (un gang de hooligans, une tentative de suicide…), The Old Oak s’autorise des passages par la comédie sociale façon Full Monty avec quelques touches d’ironie (ces vieux piliers de comptoir un peu pathétiques qui médisent sur ces étrangers qui « dévaluent » la valeur de leurs propriétés) et sort les grands sentiments - sans mièvrerie aucune - dans une touchante ode à l’entraide. C’est également un opus plus nostalgique qu’à l’accoutumée chez le cinéaste, qui s’attache longuement à développer des sous-intrigues dédiées à des détails qui, pour TJ et Yara, n’en sont pas. Le petit chien de TJ, les photos prises par Yara, mais aussi le pub lui-même, lourd de décennies d’histoires, sont autant de substituts à un bonheur qui leur échappe.
Certes, ce chant du cygne n’atteint pas les sommets des opus majeurs du cinéaste (Kes, Land and Freedom, My Name is Joe, Moi, Daniel Blake), mais ce film généreux en émotions et humble dans sa confection n’en reste pas moins l’œuvre d’un homme toujours révolté, qui crie sa rage avec élégance, humour et politesse.