Tous les ans, Bruno (Benoît Poelvoorde), un paysan alcoolique cabossé par la vie, fait la route des vins… sans quitter le Salon de l’Agriculture, titubant de stand en stand pour « déguster » les divers crus ! Une excursion annuelle qui se termine immanquablement par une cuite bruyante. Pathétique, dépressif, seul, irrécupérable loser atteint d’une sévère haine de soi, pétri de désillusions, Bruno a le vin triste. Mais cette année, son père, Jean (Depardieu), vieil agriculteur bienveillant très fier de sa vocation, est venu également afin de faire concourir son taureau champion, une superbe bête de compétition du nom de Nabuchodonosor. Suite à une terrible crise de larmes de Bruno, agacé par le métier d’agriculteur, héritage familial dont il se serait bien passé, le duo décide, sur un coup de tête, de partir faire une vraie « route des vins » à travers la France. Il sont accompagnés par Mike (Vincent Lacoste), un jeune chauffeur de taxi prétentieux et affabulateur qui finit pourtant lui aussi par succomber à la folie ambiante de ses compagnons de route. Leur quête d’amour, de bon vin et de liberté sera parsemée de conquêtes féminines d’un soir, de digressions joyeuses et inutiles, d’embûches et de grands crus.
Un road movie hexagonal éthylique avec Gérard Depardieu, dans lequel l’acteur et son partenaire séduisent la gent féminine ? Oui, Saint Amour rappelle immanquablement la structure du très culte Les Valseuses, ainsi que son esprit frondeur et libertaire ! Mais dans Saint Amour, la gaudriole n’est jamais un substitut pour l’émotion ni pour ce vibrant éloge de la paysannerie et du terroir que nous proposent ces deux réalisateurs proches de « la France d’en bas ». Saint Amour montre le désespoir des agriculteurs et le mépris dont ils sont encore victimes dans une société où la ruralité disparaît à petit feu, mais surtout, via le personnage de Depardieu, noble et digne, leur fierté et leur amour de la terre dans la France de la campagne et des traditions.
Impossible de résumer toutes les péripéties vécues par le trio, comme la rencontre avec l’écrivain Michel Houellebecq, patron demeuré d’un gîte rural, lorsqu’il fait à Bruno la longue démonstration d’un jouet musical du style Fisher Price, « au cas où ils amèneraient des enfants »… Un gag surréaliste absolument hilarant ! Irrésistible, la jeune Solène Rigot incarne une serveuse tristounette et particulièrement maladroite, qui sert ses clients en leur souhaitant « bonne continuation ». Andréa Ferréol, elle, n’a rien perdu de son appétit sexuel depuis La Grande Bouffe… Mais la femme qui occupe le plus l’esprit de Jean et de Bruno, c’est leur épouse et mère, récemment décédée et à laquelle Jean laisse encore de longs messages passionnés sur la boîte vocale. La tristesse de Depardieu lorsque la voix robotique lui annonce que « la messagerie a atteint sa limite » et qu’il ne peut donc plus parler à sa défunte épouse, est absolument déchirante. Jean vit ce moment comme un nouveau deuil… Puis, le film amorce un virage dans son dernier acte lorsque le trio retrouve goût à la vie au contact d’une beauté mystérieuse et suicidaire, Vénus, interprétée par la troublante Céline Sallette, actrice précieuse d’une beauté et d’une grâce rares.
Gérard Depardieu est absolument bouleversant dans ce rôle « terrien » qui rend à la fois hommage à ses racines (son père était un agriculteur illettré) et à son copain acteur et vigneron, l’inoubliable Jean Carmet. Nul doute que si Saint Amour avait été tourné dans les années 70, Carmet aurait joué le rôle de Depardieu et Depardieu celui de Poelvoorde !… En confrontant sans condescendance ces trois voyageurs bourrus à une collection de femmes très différentes qui leur font vivre les vertiges de l’amour, Delépine et Kervern font ressortir de leurs acteurs une innocence enfantine absolument irrésistible.
L’humour y est toujours décalé et gentiment transgressif, mais la forme s’avère bien plus classique qu’auparavant. Le duo de cinéastes ressent beaucoup moins ce besoin un peu infantile de briser tous les codes et de brandir à tout bout de champ la carte du « surréalisme à tout prix ». Une approche nouvelle, rafraîchissante, qui leur permet de s’amuser et de nous amuser davantage. Véritable bol d’air frais, ode à la liberté et à l’ivresse (de l’alcool au sens propre et de l’amour au sens figuré), Saint Amour est surtout un comédie épicurienne d’une douceur infinie.