D’entrée, Zoé Brichau nous entraîne dans le vif du sujet, caméra nerveuse et volante, au cœur d’une énergie collective, dans la rue où les manifestants défilent. Les gens sont nombreux, en mouvement, en échange. Elle attrape des visages à la volée, des costumes ou des masques. Elle suit les corps, et c’est la vie qui bat son plein devant nos yeux à travers la musique, les danses, la diversité qu’elle capte au plus près des êtres que la colère agite et que la joie d’être ensemble réchauffe. Le récit de la lutte chilienne se fait directement à partir des corps, des gestes et du quotidien de ce groupe qu’elle a choisi de suivre. Rythmé de manifestations ou de leur préparation, nourri de discussions et de récits, le quotidien se tisse de réunions en repas autour de la lutte qui s’organise et que le film nous fait partager de l’intérieur.
Mais le quotidien du groupe, peu à peu, va s’organiser autour de Claudia. Entourée de son compagnon et de ses amis, enceinte, elle a fait le choix d’avorter. Pour des raisons légales et financières, Claudia va devoir le vivre en cachette chez elle après avoir pris un médicament. De ses douleurs terribles, de la chair et du sang qu’elle expulse, des rituels qui s’inventent ensuite pour faire le deuil de cette vie arrivée à un mauvais moment, rien ne nous sera épargné par la réalisatrice, qui, frontale, fait battre questions et corps au cœur de son film. L’expérience des conditions de cet avortement vient nouer les questions profondément intimes aux questions politiques. D’une part, Claudia ne peut pas, dans ce contexte, le vivre autrement. Mais surtout, il va s’organiser autour d’elle pour l’accompagner tout un réseau d’alliance et de soutien qui lui tiendront la main, au sens propre comme au sens figuré, de bout en bout de cette expérience d’une très grande solitude et dureté. C’est toute la finesse et la profondeur du film de Zoé Brichau, d’être allée filmer l’événement intime qui fait du politique l’affaire de tous. Son film nous fait ainsi éprouver que les révolutions tiennent aux corps qui s’embrasent de vie, aussi brutales, violentes ou douloureuses qu’elles puissent être. Que ces révoltes sont des moments où se créent des affects et s’inventent du commun, des solidarités, des joies et des peines partagées. Et peut-être, outre les songes, ce qu’il s’agit de ne jamais céder, ce sont nos corps, aussi fragiles, misérables, douloureux, fiers, droits, joyeux qu’ils soient, par où nos vies s’érigent et s’inventent.