En opposition aux sempiternelles images informatives, dégoulinantes de discours sitôt écoutés, sitôt oubliés, le cinéaste s'emploie au contraire à rattraper la mémoire tout en essayant de ne pas la figer. « J'ai toujours eu un rapport très ambigu aux images. Je les adore et en même temps, je m'en méfie. L'une des questions du film était le comment filmer ce paysage sans l'embaumer. Le cinéma étant aussi l'enregistrement de la mort au travail, il s'agissait d'essayer de dépasser la mort, de cette mise sous plastique d'une région. »
À travers sa rencontre avec une couple de vieux potiers, spécialistes de la céramique, Cantraine enclenche le chant de la mémoire, celle d'une terre d'où les paysans arrachaient les couleurs à dos d'âne : cobalt froid et intense, manganèse violet ou terres jaunes de feu. Jamais nostalgique, la mémoire évoquée retrouve un éclat souverain grâce à une esthétique mature et posée. Le chant évoqué reçoit toute sa place grâce aux espaces musicaux, fragments cassés, volontairement dis-harmonieux, où la chanteuse hongroise Veronika Harcsa et le violoncelliste Albert Markos sont filmés et enregistrés in situ. « Je ne voulais absolument pas une musique de film qui favorise l'identification immédiate, mais je souhaitais surtout des ruptures de ton. Musicalement, je souhaitais les mêmes cassures que j'infligeais à l'image, c'est-à-dire, essayer de m'éloigner de l'illusionnisme du cinéma ». En effet, pour Cantraine, le cinéma est l'héritier direct de la perspective illusionniste de la Renaissance et est une prise de possession de l'espace. Il souhaitait s'éloigner du cinéma comme médium d'identification où chacun, finalement, se regarde soi (« casser le miroir narcissique du cinéma »).
Il s'agit aussi d'arpenter une terre de fictions où se trament Les Noces de Sang de Garcia Lorca et où Sergio Leone a tourné de nombreux westerns. Terre mythique donc, aujourd'hui mise sous linceul de plastique.
Porté par un texte emporté, lyrique qui rappelle parfois le sublime Chroma de Derek Jarman, autre ode aux couleurs, Plastico déconcerte car il n'est jamais le documentaire qu'on aurait imaginé, il ne nous prend pas par la main pour traverser cette région aride, transformée, défigurée. S'il nous laisse parfois sur le bord de sa route, il nous emmène le plus souvent, nous offre d'être patient, bousculé, voire embêté. Il est surtout un réapprentissage du cinéma, la redécouverte d'un travelling comme si on en voyait un pour la première fois, d'un plan fixe d'un jour qui se lève. Et enfin, il retrouve le cinéma dans ses différentes matières, comme une archéologie incroyable, dont ces magnifiques plans d'archives en pellicule d'une époque révolue, ses plans figés comme des photogrammes qui figent la vie au temps présent ou encore ces inserts d'écrans de télé filmés ; toutes ces matières, ces étoffes filmiques comme la terre qu'il célèbre à travers une oeuvre qui étonne dans un paysage d'images formatées et trop souvent desséchées.
DVD disponible à la vente : lesmotsbleus@hotmail.com