Inspiré de la propre histoire du réalisateur, le scénario, co-écrit avec Audrey Diwan, démonte les rouages impitoyables d’un piège qui se referme lentement sur un homme maladroit, mais bienveillant, dont la seule erreur a été de faire preuve de favoritisme. Avec sa structure classique - l’innocent accusé à tort se retrouvant petit à petit abandonné par tous (sa hiérarchie, ses collègues, ses amis, sans parler de la justice, complètement impuissante à le protéger) -, Pas de Vagues ( 2024) montre la force dévastatrice de la calomnie, comme l’avaient fait, dans des genres différents, The Hunt, de Thomas Vinterberg, et le récent Dream Scenario, de Kristoffer Borgli. La foule en colère (le frère de Leslie qui menace Julien de mort, les parents d’élèves) qui croit aveuglément tout ce qu’on lui raconte, sans preuve, est une métaphore subtile des dérives malheureuses d’une époque où le tribunal n’est désormais plus judiciaire, mais populaire, où une réputation - et donc une vie entière - peuvent être détruites en quelques clics.
Si François Civil s’avère juste et attachant dans les scènes qui montrent son désarroi devant sa vie qui s’écroule, Julien a également une dimension héroïque : révéler son homosexualité lui permettrait de prouver son innocence, mais il refuse catégoriquement d’instrumentaliser sa vie privée et celle de son compagnon pour sauver sa peau. La force du film est de nous proposer des personnages complexes des deux côtés du conflit, sans le moindre manichéisme.
Au-delà de ces beaux personnages tragiques, le film de Teddy Lussi-Modeste s’avère passionnant lorsqu’il aborde, en filigrane, certains thèmes très actuels. Ainsi, si l’on s’amuserait presque de la lâcheté des collègues opportunistes de Julien, qui, après avoir initialement soutenu leur collègue par pur esprit de corporatisme, se dégonflent dès que le vent tourne, on ne s’amusera pas, par contre, du constat effroyable que le réalisateur fait d’une génération d’élèves qui pratiquent le chantage et le « shaming » en diffusant des vidéos volées ni du portrait inquiétant que le film fait du système scolaire français, où la discipline n’est plus appliquée et où l’enfant, devenu roi, mais abruti dès le plus jeune âge par les réseaux sociaux et ne maîtrisant plus les règles élémentaires du français, se permet à peu près tout, imposant sa loi aux enseignants impuissants dans une impunité devenue réellement problématique : smartphones allumés en classe, insultes qui fusent en permanence…
Davantage qu’un drame sur l’injustice vécue par un innocent, Pas de Vagues est le portrait, tant français qu’universel, d’une société en pleine déroute, où la transmission semble désormais impossible.