De prime abord, on pense vraiment assister à une transposition de la série sur grand écran. Il y a Cow-Boy, Indien, Cheval, Steven, Janine, Gendarme et les animaux. Il y a toujours la maison de Cheval, bâtie sur une colline avec, en face, la ferme de Steven et au milieu, la cahute de Gendarme. On retrouve pas mal de gags dérivés, voire directement importés, des épisodes télé (la tartine au choco de Steven), mais les apparences sont trompeuses. Il y a une vraie histoire, qui va bien au-delà d’une simple succession de péripéties comiques. Les personnages ont évolué. Cow-boy et Indien, gamins perturbateurs et gaffeurs, prennent de la substance. Cheval, leur grand frère bougon, de simple faire-valoir, acquiert une vie propre, personnelle et même sentimentale. Un des principaux apports du film est l’arrivée dans cet univers de garçonnets de Madame Longrée, adorable pouliche à la voix sensuelle et aux foulards d’une élégance raffinée, professeur de piano (comble, quand même, pour un ongulé), avec laquelle Cheval vit une histoire d’amour passionnelle autant que romantique. Les personnages secondaires aussi deviennent de véritables acteurs, davantage sujets qu’objets de l’histoire. Janine, par exemple, lorsque Steven est en prison, développe un côté de son personnage, émotions et actions, impensable dans la série télé.
D’un point de vue technique, les réalisateurs se sont adaptés au scope. Les décors sont plus larges, mieux travaillés. Les créateurs ont pu se permettre quelques fantaisies graphiques bienvenues, comme l’environnement quelque peu gothique du conservatoire. Et l’animation, sans perdre son caractère haché, axé sur les postures des figurines jouets, est plus fluide : les personnages principaux développant davantage d’attitudes.
L’argument central du scénario est largement inspiré de l’épisode télé Les voleurs de cartes. Nos héros sont dépouillés par des êtres étranges venus d’ailleurs qu’ils poursuivent envers et contre tout jusque dans leur tanière. S’ensuit une lutte sans merci pour la possession des objets convoités jusqu’à la finale qui met en place la coexistence entre deux mondes différents, mais pourtant très proches. S’y greffent cependant de nombreux éléments de facture entièrement nouvelle qui enrichissent l’histoire en profondeur. La première partie, long préambule qui installe l’atmosphère, avec l’épisode des briques, le conservatoire, l’anniversaire de Cheval, la destruction puis la reconstruction de la maison.
La poursuite infernale, où l’on passe, sans aucune logique, d’une mare aux canards à un igloo du pôle, des plaines glacées au véhicule repère de savants fous. La cité des atlantes, où se situe la bagarre mémorable dont question plus haut.
La grande force des auteurs est d’avoir réussi, tout au long de cet exercice, à conserver le ton général développé dans la série, qui en fait une vraie madeleine de Proust en nous replongeant dans l’innocence de l’enfance. Par l’intermédiaire de ces figurines jouets, on regarde l’enfant qui joue. On imagine les référents (parents, professeurs, connaissances) dont il s’inspire plus ou moins consciemment pour créer ses personnages. On se délecte du rapport particulier à la réalité, typique des histoires de gosses, avec d’une part des logiques simples mais très fortes, et d’autre part, une absence parfois totale de cohérence. On est interpellé par le rapport au monde, non simpliste, non dénué de bon sens, du galopin en culottes courtes qui prend conscience de l’univers qui l’entoure et reproduit, peu ou prou, ce qu’il en perçoit. C’est Indien commandant des briques sur Internet, Steven sur son tracteur menant ses animaux à la pâture pendant que gendarme fait la circulation, Cheval qui va chercher en voiture les animaux à leur cours de piano, au conservatoire, l’étable où nos trois héros sont accueillis à dormir après la perte de leur maison vue comme un dortoir de colonie de vacances. Ce sont ces éléments, bien sûr, bien plus que les péripéties de l’histoire qui font qu’on tombe (ou non) sous le charme, qu’on accroche (ou non) et qu’on reste (ou non) scotché jusqu’au bout.
Sans se prendre au sérieux, les amis sont partis d’un savoir-faire déjà bien assis pour développer un concept plus riche, et plus développé. En plus, ils se sont visiblement bien amusés et nous font partager cet amusement en pleine complicité. Ce n’est pas peu de chose, car sans ce plaisir partagé, qu’on sent passer dans les images toute la maîtrise, le travail minutieux qui sous-tendent, le film ne servirait à rien.