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Oh Otto! de Peter Bouckaert

Oh Otto! raconte le parcours touchant et chaotique d’Otto, jeune psychologue bruxellois fraîchement largué par son compagnon Boris, revenu d’un long voyage en Amérique du Sud. Déboussolé, Otto se retrouve propulsé dans un célibat qu’il n’a pas choisi et qu’il maîtrise mal. Il découvre, souvent à ses dépens, les codes des applications de rencontre destinées aux hommes gays, ainsi qu’une vie nocturne où se mêlent tentations, désirs et désillusions. Avec humour, parfois franchement débridé, parfois plus intime et avec une réelle finesse émotionnelle, la série suit ses errances et ses maladresses, dressant le portrait d’une jeunesse désorientée dans son rapport à l’amour.

L’un des enjeux majeurs de la série réside dans sa critique subtile de la sexualité hyperconnectée qui caractérise aujourd’hui une partie des interactions amoureuses. Oh Otto! met en lumière les dérives d’une culture où les individus se réduisent à une succession de corps, de fonctions presque dénuées d’affect où différents facteurs identitaires tels que l’âge, le genre et la classe sociale viennent former des forces antagonistes. Ce regard critique ouvre un questionnement essentiel : la liberté sexuelle promise par ces plateformes est-elle véritablement synonyme d’indépendance, ou impose-t-elle au contraire une norme tacite de disponibilité et d’expérimentation ? Jusqu’où faut-il aller pour se sentir inclus dans une communauté dont les pratiques semblent parfois écrasantes ?

Dans sa quête d’affection sincère, Otto se heurte à des partenaires tantôt insensibles, tantôt étranges, qui l’objectivent ou le plongent dans des mises en scène hors de sa maîtrise. Son métier de psychologue lui confère une sensibilité aiguë, une profondeur qui favorise l’identification du public : Otto incarne nos fragilités, nos contradictions et notre désir de sens dans un monde où l’intime se négocie souvent trop vite. L’absence de figure parentale réellement présente dans le récit serait-elle une piste de réponse à ce déséquilibre relationnel ? Est-ce un cliché suranné ou une vérité partielle ?

Parallèlement, Lente, sa meilleure amie et second pilier du récit, représente la face hétérosexuelle de cette exploration des normes amoureuses contemporaines. En proie à l’angoisse d’un engagement peut-être trop précoce, elle hésite entre l’idée de s’installer avec son compagnon de longue date et l’attrait encore puissant de sa vie bruxelloise imprégnée de liberté et de fête. À travers elle, la série analyse avec justesse les attentes rigides du couple hétérosexuel moderne et les injonctions persistantes et pernicieuses qui l’accompagnent. Elle nous invite ainsi à nous demander dans quelle mesure l’orientation sexuelle conditionne la manière d’aimer, de s’engager, de se projeter. Par ailleurs, les ambitions professionnelles artistiques de Lente se heurtent aussi à la réalité d’un monde où ses attentes sont souvent déçues, où son couple met à rude épreuve ces mêmes aspirations.

Oh Otto! propose ainsi une virée tragicomique, captivante, portée par des personnages d’un grand réalisme. Son regard, à la fois tendre, lucide et profondément humain, offre une réflexion vive sur la complexité des relations amoureuses au sein de la jeunesse bruxelloise, leur beauté, leurs absurdités, leurs contradictions. Une série qui fait rire, émeut et interroge, sans jamais perdre de vue une légèreté bienvenue au sein de sa trame.