Cinergie : Pouvez-vous commencer par nous parler de vous, et de votre parcours?
Noëlle Bastin : J’ai grandi à Vitrival, et une bonne partie de ma famille y vit toujours. À 17 ans, je suis partie faire des études de lettres à l’ULB, et je n’envisageais pas du tout de faire du cinéma à l’époque. Ma carrière a commencé en tant que professeure de français, et c’est au travers de ma rencontre avec Baptiste que s’est forgée d’une part ma cinéphilie, et d’autre part mon envie de faire du cinéma.
Baptiste Bogaert : En ce qui me concerne, la cinéphilie s’est développée assez jeune, et ce dès l’adolescence. L’idée de faire du cinéma était dans un coin de ma tête depuis longtemps, sans pour autant avoir envie de passer à l’acte. J’ai fait des études de communication à l’ULB, un master en arts du spectacle, orientation cinéma, un bachelier en photographie à la Cambre et un master en gestion culturelle. C’est suite à mon échec à l’examen d’entrée de l’INSAS que je me suis rendu compte que l’envie de faire du cinéma s’était renforcée. Ma rencontre avec Noëlle et son énergie a fait qu’ensemble, nous nous sommes rejoints sur l’idée, sur la forme, et nous nous sommes sentis suffisamment forts à deux pour faire un film.
C. : Vitrival est déjà votre huitième film, après plusieurs courts et longs métrages. Qu’est-ce qui vous a donné envie de “revenir aux sources”?
N.B. : C’est venu couche après couche. À la base de l’idée, il y a la découverte d’un livre, “Robledo” de l’auteur italien Daniele Zito, qui met en scène une vague de suicides dans une grande ville du sud de l’Italie, et où l’on suit un journaliste qui enquête sur ce sujet. D’une adaptation très littérale de ce roman, nous nous sommes vite rendu compte que nous n’avions aucune envie de filmer en ville, mais que nous voulions plutôt filmer dans un village. En parallèle, c’est aussi François (Bastin), l’homme du carrefour sur lequel nous avions déjà fait un documentaire, que nous voulions filmer, ainsi que Benjamin (Lambillotte), qui avait déjà eu un petit rôle dans On sourira de nous, notre long métrage précédent. Tous deux habitant Vitrival, cela s’est construit de cette manière, un peu de fil en aiguille.
B.B. : Au travers de ces événements et des saisons qui passent, il y avait aussi cette envie de documenter une certaine ruralité, de montrer ces moments de folklore qui rassemblent, mais aussi de faire un film sur une certaine manière de vivre.
N.B. : En ce sens, l’idée du duo de policiers nous permettait d’entrer chez les gens, au travers de leur rôle d’agent de quartier. Ils ne font pas de miracles, il n’y a pas de course poursuite, mais c’est dans le quotidien de cette petite communauté qu’ils évoluent.
C. : Comment avez-vous effectué votre casting? Si j’ai bien compris, vous avez l’habitude de travailler avec des comédien·nes non professionnel·les, dont vos proches?
N.B. : Dès le début, nous voulions que Benjamin soit l’un des deux policiers. Par la suite, c’est Pierre (Bastin), le petit frère de François qui est venu compléter au bout d’un casting assez sommaire. Nous nous promenions dans le village, ils jouaient les différentes scènes, pour que l’on puisse appréhender la manière dont ils réagissaient en tant que policier. Là où nous avons eu de la chance, c’est de pouvoir faire des repérages avec les équipes de la zone de police Sambre et Meuse, ce qui nous a permis de nourrir le scénario et nos personnages.
B.B. : Pour revenir au casting, c’est aussi une particularité de notre écriture. Nous écrivons pour des personnes réelles, et nous tissons autour d’elles des personnages, mais toujours en adéquation avec leurs envies. C’est une contrainte, mais cela nous oblige aussi à être justes par rapport au réel. En plus, comme on a tourné sur le temps long, à savoir trois tournages qui se sont échelonnés sur un an pour pouvoir capter les différentes saisons du film, cela a permis à notre casting de se détacher, et de proposer de nouvelles choses, notamment pour Pierre et Benjamin. Un ping-pong qui a nourri le film.
C. : Vous évoquiez la ruralité, et ce que ce film raconte sur cet état de fait. Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire, dans ce lieu en particulier?
N.B. : Pour nous, il y a un vrai manquement dans le cinéma belge, c’est celui de la sous-représentation de la Wallonie dans la fiction. On a évidemment en tête le cinéma des frères Dardenne, mais force est de constater que le cinéma belge francophone est souvent citadin. L’envie de montrer cette communauté rurale, et non pas des destins individuels (un autre travers du cinéma belge), nous a définitivement poussés vers cette envie de raconter Vitrival.
B.B. : Cette histoire de suicides, c’est un peu notre point d’entrée pour raconter Vitrival. Ce n’est pas tant l’enquête ou les événements qui sont importants, mais plutôt ce qu’ils révèlent des gens qui les vivent. Cela donne accès à leur intériorité, sans forcément aller à la recherche d’une résolution au terme d’une enquête policière classique. Nous étions plus intéressés par les réflexions existentielles que peuvent amener ces situations.
C. : Sélectionné à l’IFFR à Rotterdam, récompensé à Pékin, mais aussi au BRIFF, un sacré parcours pour ce film. Comment vivez-vous cette notoriété, et cette reconnaissance internationale?
B.B. : C’est intéressant, car c’est la première fois qu’un de nos films connaît une telle diffusion, et qu’il devient en quelque sorte un objet qui nous est de plus en plus extérieur. Et en même temps, nous l’accompagnons toujours, ce qui d’une certaine manière nous bloque un peu dans le processus créatif de nos prochains projets (une fiction, située dans un Charleroi fictif, dont nous ne pouvons malheureusement pas révéler plus aujourd’hui).
N.B. : D’un autre côté, nous sommes aussi ravi·es de voir que le film plaît à autant de personnes différentes, et dans des lieux très différents. À Vevey, festival de comédie français, le film a reçu un prix, alors que nous sommes loin de la comédie classique. À Pékin, plusieurs personnes sont venues nous parler pour nous expliquer qu’ils reconnaissaient vraiment le rôle de la police dans les petits villages chinois dans ce film. C’est enrichissant, et c’est d’autant plus agréable que nous n’avons à aucun moment fait des compromis sur nos envies de réalisations. Ici, on sent que Vitrival peut vraiment plaire à tout le monde.
Vitrival sort en salles le 26 novembre. En parallèle, plusieurs événements sont prévus :
PALACE (Bruxelles)
>> avant-première le 25/11
CAMÉO (Tamines)
>> avant-première le 24/11
Les GRIGNOUX
>> avant-première à Namur le 26/11
>> avant-première à Liège le 27/11
PLAZA (Hotton)
>> avant-première le 11/12
Le film sort également en Flandre, au BUDA (Courtrai) et au CINEMA CENTRAL (Ninove)