Arrachés à leurs parents, séparés de leurs frères et soeurs, souvent placés au petit bonheur la chance, ces enfants de la guerre ont fait l'expérience douloureuse d'une autre vie, non voulue, où leur déracinement s'est vécu entre blessures et silence. Et le temps a passé, et ces enfants ont grandi. Certains ont retrouvé le sol espagnol, d'autres sont restés dans leur pays d'accueil mais tous ont dû se trouver tant bien que mal une place dans cette histoire officielle où leur histoire intime devenait progressivement pareille à une anecdote parmi d'autres d'une boucherie guerrière dont le tragique les englobait jusqu'à les dissoudre.
Emilia, une "niña de la guerra", est restée en Belgique et a refusé le chemin de l'oubli. Elle a cherché à retrouver d'autres enfants, à apprendre ce qu'ils étaient devenus, comment ils avaient vécu leur déchirement familial, quel parcours avait été le leur. Et c'est à partir de ses souvenirs et de son expérience que José-Luis a trouvé le chemin de son film, un chemin intérieur qui navigue sur la quête d'Emilia et qui, au-delà de cette volonté de sauvegarder la mémoire de ces "niños", veut comprendre comment s'impose et se construit un enracinement dans une terre et une histoire étrangère. Le grand mérite de Niños est de faire resurgir le passé dans notre quotidien comme autant de questions et de préoccupations actuelles. Sous nos yeux s'élabore une véritable mise en mémoire et cette mémoire fait trace active, devient vivace et dépasse le traumatisme toujours présent de l'exil en refusant de se cantonner dans le simple constat, la simple édification d'un lieu du souvenir. En évitant de nous plonger dans un passé d'archives, dans la poussière des documents noircis par le temps, Niños crée, par sa conception très personnelle et son ancrage dans l'intimité de José-Luis, un espace où mémoire et projet de vie se confondent, où lentement s'opère une prise de conscience de la richesse et de l'importance de toutes ces petites choses qui du passé au présent composent et donnent sens à nos existences. Filmé avec beaucoup de pudeur et de justesse, construit sur plusieurs niveaux (il y a une belle cohérence entre l'écriture poétique des images, le monologue intérieur de José-Luis et le récit d'Emilia), ce voyage initiatique en quête de soi et des autres montre combien ce cinéma de la mémoire, quand il est réussi, nous est nécessaire et précieux.