A côté de lui, Michel Baudour, l’œil vissé à l’œilleton d'une Moviecam SuperAmerica 35mm, cadre la gare du Midi en plan large, puis panote vers la gauche, prend la main de Joris qui tient le cigarillo allumé et termine le plan sur le visage de l'acteur. Derrière eux, Alex Stockman, assis sur un caisson, observe sur un moniteur vidéo le tempo du plan qui se tourne entre deux passages de trains.
On enchaîne avec un plan de Joris découvrant sa chambre d'hôtel. Il dépose sa valise sur le lit et ouvre la porte-fenêtre. On installe la caméra derrière le lit. Michel Baudour montre le cadre à Alex Stockman qui propose un objectif de 35mm qu'installe Agnès Dybowski, l'assistante image. Joris a passé une veste anthracite sur son polo. Stockman lui explique avec précision le trajet à effectuer pour rester dans le champ de la caméra. Il entre dans la pièce, se débarrasse de sa valise sur le lit, ouvre à plusieurs reprises la porte-fenêtre, la referme. "C'est pas mal, dit le réalisateur, mais jette ta valise avec plus de force, elle est censée être lourde!"
Noir & blanc
"Le noir et blanc m'intéresse, nous explique le réalisateur de Violette, parce que je trouve que c'est la couleur fondamentale du cinéma. C'est la lutte entre la lumière et l'obscurité et, enfin, son emploi entraîne un léger décalage avec la réalité telle qu'on croit la voir. C'est d'autant plus important que Joris, le personnage du film, est en décalage par rapport à lui-même, c'est un spectateur de sa propre vie. Mentalement, il est déjà parti à l'étranger alors que physiquement il est toujours ici, dans un vieil hôtel, qui lui sert de point d'ancrage. Cela entraîne une relation aux choses que le noir et blanc métaphorise parfaitement.
Le silence exprime beaucoup plus de choses que la parole. C'est la raison pour laquelle je m’intéresse aux temps morts de la vie. Dans les histoires ce sont des moments qui normalement sont ellipsés ou coupés au montage voire même dès le départ, dans le scénario, parce qu'ils ne font pas avancer le récit, mais ces temps morts sont dans une narration souvent plus significatifs que d'autres.
J'aime bien les dialogues et les séquences parlées mais en même temps je m’intéresse davantage à un cinéma visuel où chaque aspect du plan aide à raconter une histoire ou un état d'âme. Ça peut être passer par une porte qui s'ouvre, une phrase qui se dit, le bruit d'un tram qui passe, un craquement de bois sous les souliers, un regard ou une cigarette qui s'allume. Tous ces faits sont aussi importants que la parole.
Chercher son film
Le fait d'avoir repris Stéfan Perceval, le même comédien que dans In de Vlucht, me donne parfois l'impression de vraiment retrouver le personnage trois ans plus tard et c'est un très beau sentiment. Mes fictions sont toujours aussi des documentaires sur les lieux et les acteurs et là il y a une part du personnage de l'acteur qui revient. Ce n'était pas délibéré mais il y a un prolongement qui m'intéresse.
Un film se construit en trois étapes : pendant l'écriture, le tournage et le montage. Lors des trois étapes on cherche son film. On n'a pas la sécurité d'être soutenu par un scénario bétonné, c'est donc plus angoissant. Mais c'est cet état qui m'intéresse, la prise de risque que cela induit. C'est comme l'improvisation en jazz sauf que la machinerie du cinéma est plus lourde à gérer qu'un instrument de musique. Ce n'est pas simple de saisir des moments de vie avec une machine aussi lourde".
Production
"Le Pressentiment est un road movie comme les deux courts métrages d'Alex qui l'ont précédé, nous confie Kaat Camerlynck, la productrice du film. Il raconte l'histoire de Joris, un jeune homme qui après avoir pris congé de son amie et de ses amis a décidé se rendre au Portugal.
Sur le chemin de la gare il a le pressentiment que ce n'est pas encore l'heure de partir. Il prend une chambre dans un hôtel et passe quatre jours et quatre nuits à errer dans la ville, fait des rencontres dont celle d'une jeune femme mystérieuse. On a reçu une aide à l'écriture du scénario de la Communauté flamande. Puis un an après on a présenté le dossier qui a obtenu une aide à la production de la part des deux communautés. C'est un film belge, tout se passe à Bruxelles. Pour moi il était évident qu'on devait solliciter les deux communautés. La VRT est également co-producteur. C'est un film à petit budget avec trente et un jours de tournage"