Bob adresse à Lucien un large sourire teinté d'ironie. Celui-ci, dos à la caméra, l'observe froidement. "On ne peut plus - Stop" crie Yvan Lemoine, le réalisateur, les figurants partent trop vite, on recommence depuis le début! moteur! - Moteur tourne! - 36/4 deuxième! - Action! - On ne peut plus quitter son petit Bob à ce que je vois! Nous devenons inséparables, Monsieur Lhotte ( un temps), si ça continue les ploucs vont se mettre à jaser!. Désignant Isis Colombe : votre fiancée?. Lucien : J'étais invité à un gala de charité mais finalement ces endroits sont des nids d'hypocrites. Et franchement, je ne regrette pas d'être venu ici. l'Art comme reflet de l'âme c'est autrement édifiant, vous ne trouvez pas! Cut.
Anita Ekberg
Puis il lui suggère de lever la main avec laquelle elle tient un éventail pour accentuer son air altier. Enfin il demande aux figurants d'être naturels: surtout ne surjouez pas, on est dans la vie, pas dans un film.. O.K., allons-y. Tout le monde en place. Silence. On va tourner. Et on refait la prise.
Pour la figuration confie Yvan Lemoine, il est important de leur répéter d'éviter les automatismes dans leurs déplacements, qu'ils doivent vivre le moment présent, la situation, l'instant, l'émotion de l'instant. Les comédiens, dont c'est le métier, eux le savent. Chaque comédien a une voix, une expression, une sensibilité. La règle c'est d'être soi-même, de sentir, d'entendre la vérité qui est en soi et pour le comédien et pour nous-mêmes. Au cinéma il faut faire les choses à cent pour cent, à chaque étape. La scène que tu as vue est l'expression du moment où Paola se demande - en public, en tout cas - pourquoi elle a pu s'enticher d'un si petit amant , petit mais pas piètre vu son instrument de virilité - la légende veut que les nains aient un instrument viril plus grand que la moyenne. Pour elle, Lucien c'est son petit godemiché à pattes, sa ceinture de lubricité. Il n'y a pas de relation sadomasochiste entre eux comme avec Bob que Lucien asservit. Bob représentant pour Lucien les échassiers, tous ces grands qu'il a méprisés toute sa vie parce qu'ils l'ont humilié et dont il se venge d'une manière éclatante.
Prince des enfants
Adapté d'une nouvelle de Michel Tournier, Le Nain rouge (1), raconte l'histoire de Lucien Lhotte, un nain, employé dans un cabinet d'avocats qui découvre l'amour grâce à Paola Bendoni, une cantatrice. La rencontre de Lucien avec le sieur d'Urbino, directeur d'un cirque, lui donne l'idée de mettre au point un numéro. Il devient une grande vedette de la scène auprès du public enfantin et se laisse toucher par la délicatesse d'Isis Colombe, une enfant de la balle. J'ai lu la nouvelle il y a une dizaine d'années, poursuit Yvan Lemoine - je lisais très peu bébé - et elle m'a tout de suite touché. On ne peut pas porter l'histoire d'un long métrage si elle n'est pas profondément ancrée en soi. Six, sept ans de gestation c'est plus long que les neufs mois d'un enfant. On n'a donc intérêt à l'aimer ce projet. Il faut qu'il y ait véritablement une adéquation entre soi et le projet, tout de suite. On ne peut pas tricher ou se dire que c'est juste une histoire!
Le film n'est pas autre chose que l'histoire du petit homme qui est au fond de chacun d'entre nous et qui, comme beaucoup d'entre nous, veut devenir le plus grand. Il use de toutes les armes pour y arriver: la sexualité, la force, la méchanceté, les compromis , tout ce dont on se sert pour arriver dans le monde des adultes. Jusqu'à ce qu'il s'aperçoive qu'il vaut mieux être soi, correspondre à ce qu'on est réellement, ne pas tricher. Il découvre que pour être en harmonie avec soi-même, il vaut mieux être ce que l'on est plutôt que ce que l'on veut être à tout prix alors qu'on sait pertinemment que nous n'avons ni les moyens ni les armes pour le faire et c'est là que viennent les tricheries, les mensonges et, sans doute, les souffrances. C'est un petit homme, il préfère donc être le prince des enfants que de vouloir à tout prix rejoindre la cour des grands, en usant des armes des grands qui ne sont pas forcément les meilleures.
(1) Publié dans Le coq de bruyère, Ed. Gallimard,1978. Dans Le vent Paraclet, Tournier écrit que l'histoire lui a été inspirée par la lecture des Mots de J.-P.Sartre.