Que l'on soit proche ou non de l'univers des réalisateurs versés dans l'art de la gaudriole révolutionnaire depuis des décennies d'émissions grolandaises, on s'attend forcément, à la vue du scénario et de son casting, à quelque chose de revendicatif, d'osé… osons le mot, de punk. Fatale erreur d'appréhension, partiellement due à une promo tapageuse, dont on aura pourtant du mal à se départir, tant le film semble lui-même, à l'image de ses protagonistes, chercher sa voie entre la révolte et la raison.
Depuis Louise Michel, soit la première de leurs réalisations dont ils ne tiennent pas eux-mêmes le haut de l'affiche, Benoît Delépine et Gustave Kervern construisent leurs récits autour de leurs acteurs. C'est donc de la volonté de créer une histoire avec ce duo inédit, Benoît Poelvoorde endossant le marcel flottant du « plus vieux punk à chien d'Europe » et Albert Dupontel, employé caricatural, passant ses journées à vendre du sommeil à la clientèle Romero-esque d'un magasin de literie, que s'est bâti un schéma narratif extrêmement tributaire de la performance des deux acteurs, qui avaient déjà fait de sommaires apparitions dans leurs précédents films.
Si Benoît Poelvoorde est très bon dans un rôle suffisamment bien écrit pour ne pas tomber dans le cliché (chose admirable, le vrai punk à chien étant souvent un cliché en soit), Albert Dupontel porte un personnage à l'évolution trop radicale, excessif en employé servile comme en rebelle sans cause. Il tombe dans son jeu rebattu d'hystérique grimaçant, qui, s’il convenait fort bien à des films tels que Bernie ou Le Créateur, appesanti ici le récit, accentuant par là la dichotomie du propos.
Pourtant, le duo dans l'ensemble est loin d'être bancal, au même titre que les personnages secondaires sont souvent très bons. Brigitte Fontaine notamment, dont c'est la première participation à un long métrage joue parfaitement Brigitte Fontaine. Les cadres sont souvent intéressants et les situations forment une suite de tableaux drôles et empreints de ce décalage propre à l'univers des réalisateurs. Au sortir de la salle, demeure pourtant l'impression d'être passé à côté de quelque chose, sans vraiment pouvoir dire si c'est eux ou nous qui avons raté le coche. La réponse se trouve peut-être au montage. Le film se cherche une existence propre, une voie à suivre… seulement voilà, une œuvre est un message, qui, lorsqu'elle souhaite emmener le spectateur dans son univers, souffre rarement d’ambiguïté. Dans le cas présent, n'est-ce pas le doute des deux réalisateurs de choisir entre le film engagé, voire propagandiste, et le drame social aux revendications plus humbles qui le condamne à nager entre deux eaux, sans jamais vraiment parvenir à trouver l'homogénéité qui nous permettrait de rêver au Grand Soir ?