Philippe Manche : Le chaînon manquant, votre deuxième film d’animation, débarque sur les écrans en 1980, soit cinq ans après le succès mondial de Tarzoon, la honte de la jungle. Sa genèse a-t-elle été particulière ?
Jean-Paul Walravens : Ça marque, quand un premier film fait le tour du monde ! Je ne m’y attendais pas. Je comptais juste faire un film et revenir ensuite au dessin satirico-politique, mais ça s’est passé autrement et j’ai attaqué le second. Comme toujours, quand un premier film marche fort, on est très angoissé pour le suivant.
J.M. : Rétrospectivement, aviez-vous conscience d’être un pionnier dans le monde de l’animation ?
J-P.W. : Le dessin animé était marginal. En dehors de Tintin - et même pas, parce que Hergé a arrêté directement -, il y avait Astérix, Lucky Luke et les Walt Disney. Les films d’animation n’existaient pas. Il y avait bien eu La planète sauvage de Roland Topor, qui était de la science-fiction pour un autre public, et Fritz the Cat, qui sort trois ans avant La honte de la jungle. Je voulais sortir de ce que j’appelais « le ghetto du cinéma d’animation pour enfants ».
J.M. : Quel était votre cahier des charges avec Le Chaînon Manquant ?
J-P.W. : Je voulais réaliser un film tous publics qui s’adresse autant aux adultes qu’aux enfants. Je trouvais le sujet satirique parce que c’est aussi une autre façon d’aborder l’humanité. J’aimais bien la Préhistoire - j’aime bien ces animaux-là -, et comme je ne les ai jamais rencontrés, je les ai imaginés. Ensuite, c’est l’humain qui fait disparaître le monde animal.
J.M. : En soi, le propos reste très contemporain…
J-P.W. : C’était une théorie qui correspond à la fin de la Préhistoire et des animaux préhistoriques. Et c’est vrai qu’aujourd’hui on n’arrête pas de parler d’espèces animales qui disparaissent les unes après les autres pour les mêmes raisons comme la cupidité,… J’avais surtout envie d’une comédie avec un propos satirique.
J.M. : Quelles ont été les étapes de la réalisation du film ?
J-P.W. : Il y a eu la partie financière. J’ai développé à Bruxelles les premières phases du scénario avec Christian Dura, un français, et Jean Colette. Je me suis rendu à New York, comme pour Tarzoon, afin d’enregistrer les voix. Je travaillais pour différents magazines américains dont National Lampoon, qui avait aussi sa propre radio. Pour vous donner une idée, c’est un peu comme si Hara Kiri possédait sa propre station en France. C’est là que j’ai rencontré John Belushi, Dan Aykroyd ou Bill Murray qui étaient totalement inconnus à l’époque. C’était un peu avant le Saturday Night Live. Ils étaient des comédiens de radio et je les ai embauchés sur Tarzoon. Pour Le chaînon manquant, seul Bill Murray a prêté sa voix. Nous avons fait le montage en France et en Belgique.
J.M. : Qu’y a-t-il de jouissif à croquer des animaux pour un dessinateur ?
J-P.W. : J’ai toujours aimé ça. La raison est à chercher dans mon enfance. Je suis né à la fin de la guerre à Forest, pas très loin de la Gare du Midi. Les Américains nous bombardaient de très haut pour gagner la guerre. Mes parents m’ont donc amené trois ou quatre ans à la campagne dans une ferme où j’ai grandi entouré d’animaux…
J.M. : Quels sont les cinéastes belges francophones avec qui vous avez des affinités ou, pour faire simple, vos films préférés ?
J-P.W. : Mon film favori, c’est Toto le Héros. J’ai des affinités avec Benoît Lamy, avec qui j’ai coréalisé et même produit Cartoon Circus. Mais, ce qui m’a mis par terre, c’est le film C’est arrivé près de chez vous. J’ai vu ça comme un ovni. C’est un film essentiel, complètement dérangeant, neuf, excessif et très belge. Je suis vraiment fan.
Philippe Manche