Ok loulou, mais cela parle de quoi, au juste ? Essayons de pitcher la première heure. Alex (Konstantin Lavronenko que nous avons découvert dans Le retour, le précédent film de Zviaguintsev) et Mark (Alexandre Baluyev), deux frères, se retrouvent dans l’appartement du premier qui extrait une balle du bras du second. Pourquoi ? On ne le saura jamais, sinon que la complicité des frères est totale. Alex est marié à Vera (la fragile épouse est incarnée par l’émouvante Maria Bonnevie). C’est l’été, le ruisseau est à sec, le soleil répand sa chaleur, son éclat provoque la poussière, on est dans le frémissement de la vie. Prise d’un malaise, Vera annonce à Alex qu’elle est enceinte d’un troisième enfant d’un homme qui n’est pas lui. Troublé, jaloux puis furieux, Alex supplie Mark de le conseiller. Faut-il pardonner ou tuer sa femme ? L’amour est-il plus puissant que le ressentiment ? Les frères choisissent le chemin de la haine qui conduit à la mort, obligeant Vera à avorter. Celle-ci va résoudre son rejet de femme et de mère dans le suicide. N’est-ce pas un moyen d’accomplir le vœu de son mari jaloux incapable de capter l’amour de sa femme ? Ceux qui n’auront pas compris que Ziaguintsev les entraîne, depuis le début, dans un jeu de piste complexe plutôt que dans un drame conjugal risquent de s’égarer. Car les trente dernières minutes nous font décoller et basculer ailleurs, dans un monde flou que nous ne soupçonnions guère (pour le coup, plus proche du Décalogue de Kieslowski). Et si l’enfant n’était pas le fruit de Robert, l’amant, mais une manière pour Vera de reconquérir l’amour d’Alex ?
Nous voilà plongés dans une rupture narrative, dans un film pratiquant, de main de maître, les ellipses, l’accumulation de détails à peine perceptibles sur les règles d’un quotidien privé d’amour, un monde que ne supporte plus Vera. Celle-ci n’hésite pas à entraîner Alex au-delà du miroir. Désormais, nous sommes ailleurs, les plans fixes alternent avec de lents panoramiques (du ciel pluvieux au sol inondé), des plans ruisselant sous l’abondance d’une pluie diluvienne qui va déchirer les vérités d’Alex tout en contribuant à voiler le mystère de Vera. Le suicide n’a-t-il été que la réussite d’une première tentative avortée grâce à Robert, l’amant ou l’ami ?
Alex n’a pas compris que plutôt que de partager seulement la souffrance de Mark il a abandonné celle de Vera. Les deux disparus. Il lui reste à assumer sa solitude, dans un temps désormais scellé.
Le Bannissement d’Andreï Zviaguintsev, éditions Imagine, diffusion Mélimedias Musique Arvo Pärt. Mélimédias/Imagine vous offre 5 exemplaires si vous répondez à nos deux questions.