La Ronde de l’aube
Le mélodrame chez Douglas Sirk est une variation de la tragédie inspirée de celle qu’il a dû subir dans sa famille.
L’action de la Ronde de l’aube se passe à la Nouvelle-Orléans. Le journaliste Devlin suit, afin de réaliser une enquête, Roger Schumann, un ancien as de guerre de la guerre 14-18 qui, pour survivre à l’aube blafarde de la Grande Dépression, est devenu une bête de foire dans les meetings d’acrobaties aériennes. LaVerne, sa sensuelle épouse, parachutiste devenue pour suivre son mari, fait partie, avec Jiggs le mécanicien, de ce trio désargenté auquel Devlin propose un abri. Déséquilibre, mal de vivre, difficulté d’aimer chez ces perdants de la vie sont les thèmes abordés par Sirk. Il réussit, par la fluidité de son style, à vampiriser le roman de Faulkner.
Douglas Sirk utilise le cinémascope en noir et blanc (Irving Glassberg, à la photo). Il aime les plans en mouvement et les coupes brutales en plongée pour signifier un flash-back.
Superbe montage alterné de la ronde du père dans le ciel et de la ronde du fils coincé dans l’avion d’un manège. Ronde infernale qui voit le père tomber dans l’eau sous le regard du fils.
Bonus
Tout un disque. La défaulknérisation de Pylône, présenté par Marguerite Chabrol, analyse les relations entre Sirk et Faulkner. Ce dernier, qui a fait son service militaire dans l’aviation pendant la seconde Guerre Mondiale, possède un brevet de pilote et se passionne pour des vols qu’il pratique avec passion. Dès la parution de Pylône en 1934, Sirk, qui travaille encore pour l’UFA à Berlin, propose d’adapter ce roman qui décrit l’extrême pauvreté de marginaux du rêve américain pendant la Grande Dépression. Comme nous l’explique Marguerite Chabrol, Sirk transforme l’esthétique Faulknérienne en esthétique hollywoodienne. Le roman est complexe – bien qu’il soit plus proche de Sanctuaire que du Bruit et la fureur. Face à un récit malgré tout brouillé, où beaucoup d’événements passent inaperçus, Sirk va adopter une structure extrêmement lisible et des mécanismes pour enchaîner les scènes de façon parfaitement claire. Faulkner nous parle d’un trio Schumann, LaVerne et d’un parachutiste amant de LaVerne remplacé, dans le film de Sirk, par Jiggs, le mécanicien, amoureux éconduit. Plutôt que de risquer de la perdre totalement, ce dernier pousse l’as des airs (plus préoccupé par les avions que par les femmes) à épouser Dorothy Malone.
Le Cercle infernal de Bill Krohn nous parle du thème des trios ambigus que l’on trouve dans les mélodrames et dans les films noirs. Très en vogue dans les années cinquante, ils étaient les seuls genres à aborder les sujets refoulés d’une Amérique coincée.
Des entretiens émouvants avec Douglas Sirk, Rock Hudson, Robert Starck et Dorothy Malone, filmés par le grand Gary Graver (le dernier chef op' de Welles) et diffusés sur la ZDF nous sont proposés. Sexy Dorothy, mais en réalité prude texane nous dit-on. Vraiment ? Dorothy Malone nous fait un joli clin d’œil en prétendant que les baisers au cinéma sont ennuyeux sauf son bouche à bouche avec Robert Starck qui l’a beaucoup émue. Prude !?
Signalons que la Ronde de l’aube fait partie d’un coffret comprenant les Amants de Salzbourg, Demain est un autre jour et All I Desire. Les films sont également disponibles séparément. La grande qualité de cette édition réside dans la remasterisation et le respect du format original, contrairement à certains films (le cas Hitchcock est inadmissible : proposer du scope en 4/3, ou même, pour certains films, le simple transfert de copie VHS en disque vidéo !)
(1) Jon Halliday, Conversations avec Douglas Sirk, éditions Les Cahiers du Cinéma.
La Ronde de l’aube, Douglas Sirk, éditions Carlotta, diffusion Twin Pics