La réalisatrice suit Saliha, la mère de Sabri. Du parlement flamand à un athénée, en France comme en Belgique, elle parcourt des kilomètres afin de témoigner et d'empêcher que d'autres souffrent. Des deux côtés de la frontière les problèmes sont similaires alors les familles se rassemblent et s'épaulent. Qu'elles s'appellent Dominique, Samira ou Valérie, toutes les mères semblent raconter la même histoire: après la stupeur provoquée par ce départ impensable, vinrent les contacts via la plateforme Facebook aux multiples visages. Le contraste est saisissant entre les conversations difficiles qu'elles entretiennent avec un être qu'elle ne reconnaissent plus et qui récite la propagande locale tel un robot, et les photos qu'ils postent d'eux, hâlés et souriants comme s'ils étaient en vacances à Ibiza. Puis vient un silence qui ne sera brisé que par un message leur annoncant leur mort.
Rares sont les parents qui s'aperçoivent des intentions des jeunes de partir en Syrie. Comme cette mère, qui découvre le pot-aux-roses et prévient les autorités compétentes du futur départ de son fils, leur communique la date et l'heure du départ. Son fils s'envolera sans problème pour la Turquie.
C'est peu dire que les familles, se sentant délaissées, en veuillent aux Etats, et soulignent l'absence totale de soutien. Elles déplorent la non-reconnaissance de la mort de leurs fils, empêchant tout travail de deuil. Elles s'interrogent sur l'efficacité de la lutte entreprise face à des réseaux parfaitement organisés et très bien financés. Elles souhaiteraient enfin que leurs fils soient reconnus comme des victimes, jeunes fragilisés et embrigadés, et pas uniquement comme des monstres.
Ces séquences publiques alternent avec celles tournées avec pudeur par Jasna Krajinovic dans la sphère privée. Il faut continuer à vivre malgré tout et la petite dernière de neuf ans apporte une joie salutaire. Une insouciance qui rouvre des plaies encore béantes dans une émouvante séquence où elle présente à sa famille l'exposé qu'elle a réalisé à l'école sur son grand frère décédé.
A l'heure où les déclarations des marchands de terreur succèdent à celles des apôtres du bon sens et des phrases définitives, à l'heure où les responsables politiques martèlent que l'on cherche à abattre leur société modèle sans jamais se demander pourquoi des membres de cette même société, à l'aube d'une vie d'adulte qu'on leur promet centenaire, décident de tuer et de se faire tuer le plus rapidement possible, La chambre vide nous rappelle à quel point le documentaire est précieux. Précieux car en prenant le temps et en proposant respirations et silences, il offre le recul nécessaire à la pensée. Précieux par les nombreux regards qui interrogent sans cesse l'autre et le monde. Précieux lorsqu'il permet, comme dans ce beau film, la parole et l'écoute.
Léo Dupont