Là, dans un appartement qui n’est pas le sien, elle prend des notes, lit et cogite. Un attentat a lieu à quelques mètres; on l’appelle : elle est saine et sauve. Elle le dit en français, en anglais et en hébreux. Elle s’interroge aussi : pourquoi la mère d’Amos Oz, écrivain israélien, s’est-elle suicidée (un jour de pluie) à Tel Aviv et pourquoi à peu près en même temps, sa tante Ruth a fait de même (un jour de faible soleil) à Bruxelles ? Oui, pourquoi ? Se sentirait-on mal partout même dans ce qui s’apparente à un « paradis retrouvé »? Question ouverte.
Comment parler d’Israël sans quitter son appartement ? Akerman n’aime pas trop bouger car, comme elle l’affirme, « c’est difficile de sortir de sa prison ». Alors, elle fait comme à l’accoutumée : elle regarde le monde par sa fenêtre.
Un jour, un événement : entre les stores qui protègent du soleil et de l’extérieur, une bande de lumière se découvre. En une fois, l’œil capte un cadre, un plan. Puis, un second. Surtout, ne pas intervenir. Laisser plutôt le hasard s’activer. Et ça ne tarde pas : le quotidien, le banal prend les traits d’un homme qui arrose ses plantes et d’une femme qui fume sur son balcon. Qui sont-ils ? De quelle manière font-ils écho à sa propre histoire d'immigrée? En retrait, Akerman recueille pendant des heures et sous différents angles cette image striée, constituée de lignes verticales qui rappelle l’univers carcéral.
Par moments, la cinéaste délaisse son décor pour accroître le champ de vision en filmant la plage, la mer et le ciel. À nouveau, des êtres apparaissent à l’image, cette fois plus ouverte et ample. Les interrogations sur l’exil et l’appartenance reprennent. Chacun n’est-il pas censé s’égarer avant de se trouver ? Akerman le pense quand elle précise à « Filmer à tout prix » : « Je sais que je suis née à Bruxelles mais j’aurais pu naître ailleurs. Je suis un peu en exil de moi-même. Ou que j’aille, je me transporte avec moi-même. (…) C’est mon rapport aux choses en tant qu’enfant de la deuxième génération. ». Cette errance, on la perçoit aussi à travers la voix rauque et saccadée de l’auteur qui se heurte à ses soupirs et à ses silences. Dans Là-bas, on ne voit pas directement le sujet en question (la Terre Promise) mais il traverse tout spectateur en le renvoyant à sa propre histoire. Réelle comme imaginaire.