« En traversant la rue du burlesque au polar, nous ne lâchons pas notre envie de rire, nous explorons une palette plus amère. Le désenchantement, la mélancolie, ingrédients typiques du polar, planent sur L’Étoile filante, mais un joyeux ensemble de personnages moralement ineptes apporte à notre film noir ses belles couleurs et sa drôlerie ». – Abel & Gordon.
Voilà pour la note d’intention ; le duo, que nous avions interviewé en 2017, émettait déjà à l’époque cette envie de créer un polar à leur sauce. Ils se lancent donc dans un curieux mélange de genres, qui aboutit à leur film le plus étrange et le plus épuré à ce jour, toujours aussi décalé, désuet, mais aussi nettement plus sombre (malgré quelques accessoires aux couleurs chatoyantes) et moins joyeux qu’à l’accoutumée. Peuplé de personnages lunaires qui se sentent seuls, prisonniers de leurs regrets et de leur passé (Dom et Fiona, divorcés et en froid, ont perdu un enfant et plusieurs scènes se déroulent autour de la tombe de ce dernier), L’Étoile filante joue aussi sur le fait que ses interprètes, que nous connaissons maintenant depuis près de 25 ans, ont vieilli (ils ont 66 ans chacun), clowns tristes qui trouvent la joie dans l’espace limité d’une série de tableaux dansants merveilleusement chorégraphiés. Parmi les réjouissances, nous verrons les caprices d’une prothèse de bras aux mouvements imprévisibles, un dentiste qui travaille au fer à souder, un couple qui tente d’échapper à la police dans son sommeil ainsi qu’une danse synchronisée réunissant le casting tout entier.
Les cinéastes ne créent pas véritablement de gags, mais des tableaux comiques et surréalistes qu’ils occupent de leurs corps de danseurs vieillissants et dégingandés en improvisant chorégraphies, gestes incongrus et situations de pièce de boulevard mariant maladresses et poésie dans un univers où les repères temporels marqués n’existent pas.
Comme chez Chaplin, Keaton, Tati, Pierre Richard, Jerry Lewis ou Mr. Bean, leurs modèles, Abel et Gordon mettent en scène un délire purement visuel, peuplé de marginaux, où la parole est largement secondaire. Ils s’essaient cette fois à leur « Feux de la Rampe », et si le mariage de noirceur et de comédie ne fonctionne qu’occasionnellement, on ne peut nier ni l’ambition ni l’originalité de ce cinquième long métrage.