C’est l’attente qui est le plus pénible pour Jahia : celle de savoir si elle et sa mère obtiendront un jour leurs papiers, celle de pouvoir enfin entamer une « vraie » vie. Elle vit au quotidien avec cette éternelle épée de Damoclès d’un renvoi dans son pays, sa hantise… Sa frustration va crescendo à chaque fois qu’elle voit des familles arrivées en Belgique bien après elles, quitter le centre avec des papiers en règle. Et pour vivre en Belgique, il faut respecter les lois du pays, notamment l’école, obligatoire. Or, Jahia a déserté les cours depuis des mois et a donc pris énormément de retard. Son raisonnement : « À quoi ça sert un diplôme si je n’ai pas de papiers ? ». Aujourd’hui, elle se retrouve avec quatre examens à repasser à la fin des vacances. Mais pour la première fois depuis son arrivée dans le pays, un événement heureux, inattendu, est venu pimenter sa vie morose : au contact de Mila, Jahia s’amuse, sourit, respire enfin, que ce soit lors de leurs promenades quotidiennes ou de leurs baignades dans le lac.
Olivier Meys (Bitter Flowers) signe un récit d’initiation adolescente classique et y ajoute la modernité du multiculturalisme, d’un monde en guerre et de la crise migratoire. Mais ces sujets, qui méritent qu’on en débatte, ne sont finalement là qu’en arrière-plan. Le réalisateur pose un regard attendri sur un sujet où le misérabilisme, qu’il évite à tout prix, est bien trop souvent de mise. Jahia et Mila ne sont pas Tori et Lokita !... Le réalisateur s’attarde plutôt à « normaliser » ces deux jeunes femmes issues de familles brisées, mais qui ont néanmoins toute leur vie devant elle. L’influence de Mila, lumineuse, optimiste, chaleureuse, n’a pas de prix pour Jahia, d’un naturel pessimiste et méfiant : « On aura une belle vie, crois-moi ! », promet Mila à sa nouvelle amie, qui aimerait tant la croire… Pour Jahia, qui ne voulait s’attacher à personne parce que tout, dans sa vie, est éphémère, Mila est une étincelle qui modifie sa façon de penser, d’aimer et d’entrevoir l’avenir.
Notons, dans le rôle d’une assistante sociale bienveillante, la présence de la toujours formidable Céline Sallette, remplaçant au pied levé la regrettée Emilie Dequenne…
Par le portrait doux-amer de ces jeunes femmes attachantes, interprétées par deux nouvelles venues épatantes, Olivier Meys nous rappelle que, parfois, ces statistiques, ces abstractions que l’on appelle « migrants », « réfugiés » ou « demandeurs d’asile » sont aussi et avant tout… des enfants comme les autres, qui n’aspirent qu’à la normalité et qui demandent simplement le droit, eux aussi, de rêver un peu.