Quand on confond libéral et liberté
Comme le précise Ken Loach : « C'est le système qui pousse les gens à agir comme ils le font. »
Pourquoi Angie traite ses ouvriers comme du bétail sans sourciller, si ce n'est que pour être concurrentiel sur le marché de la sous-traitance, et sauver son coin de soleil ? Oh, il ne s'agit pas de la grosse villa, avec garage pour deux voitures et option sur la piscine ! Il est juste question de pouvoir se loger, se nourrir et se vêtir décemment, sans devoir angoisser à l'approche des fins de mois, trouver une bonne école pour son fils, lui offrir des activités extrascolaires, autres que traîner seul devant la télé (la baby-sitter à domicile).
Où est le mal ? C'est vrai, quand on y pense mieux, ces ouvriers et ouvrières de l'Est, ils sont bien heureux de trouver du boulot, même physiquement pénible, dangereux et mal payé. Pour nous, mal payé, mais pour eux, c'est une fortune ! Imaginez-vous qu'ils font vivre toute leur famille avec ce salaire !
Il y a comme un air de déjà entendu; rappelez-vous, le Nord sidérurgique et minier qui allait chercher de la main-d'œuvre docile et peu rémunérée dans la Méditerranée alors que les ouvriers autochtones s'organisaient en syndicats et revendiquaient un salaire plus proche de leurs tourments par rapport aux bénéfices colossaux des industriels. Carmen ou Conchita sont remplacées par Maria ou Vassilka, et José ou Mohamed par Christophe ou Pierre (officiellement Krzysztof ou Pietrov).
Toujours selon Ken Loach : «L'exploitation de la main-d'œuvre de l'Est est essentielle pour l'économie anglaise. Cela permet des prix très bas et de la nourriture bon marché, puisque les gens sont sous-payés ». Cette exploitation permet également à la classe moyenne des sociétés post-industrielles de se maintenir dans un train de consommation bien qu'elle voie son pouvoir d'achat fondre comme neige au soleil ! Les politiques ne seraient-ils pas complices du travail sous terrain, pourvu qu'il soit encadré ?
Se revendiquant cinéaste militant, dont les premiers exploits furent de parler de ceux qu'on ne voyait jamais au cinéma; les chômeurs (My name is Joe), les femmes battues (Ladybird), les prêteurs sur gages qui ne lésinent pas sur les moyens pour récupérer leur dû et surtout, les bénéfices (Raining Stones) ; ayant fait escale dans le cinéma vindicatif avec l'organisation des ouvriers en syndicats (Bred and Roses), le conflit irlandais (Le Vent se lève) qui lui a valu la Palme d'Or, en passant par l'inter-culturalisme (Just a kiss), bref, ayant écumé tous les thèmes sociaux et politiques de la gauche européenne, Ken Loach, avec son fidèle scénariste, Paul Laverty, a bravé le courant dichotomique où les laissés pour compte sont gentils, sages et sans défense ni défauts, malheureux, incompris et maltraités par les autres; racistes, extrémistes et autres racailles.
Avec It' s a Free World, l'analyse subtile de la réalité politico-économique est d'autant plus pertinente que le film ne tombe à aucun moment dans les travers de la dualité entre le bien et le mal, les gentils et les méchants, mais au contraire, dresse le tableau, à la manière d'un Rembrandt, dans les nuances de l'ombre et de l'obscurité, d'une société régie par des relations professionnelles appelées à se généraliser et dans laquelle l'humain ou l'humanité n'a plus sa place.
Dans les bonus, des entretiens avec Ken Loach et Kierston Wareing où l’on apprend qu'elle allait faire une croix sur sa carrière de comédienne avortée pour se lancer dans le secrétariat de direction quand elle a reçu l'appel tant attendu et inespéré ! C'est-y pas beau ça ?
It's a Free World, de Ken Loach, édité par Cinéart et distribué par Twin Pics. 5 exemplaires à gagner, offerts Twin Pics. Voir notre page des concours.