Tombé amoureux de la bande dessinée de Joe Kelly et J.M. Ken Niimura publiée en 2008, Chris Columbus (Gremlins, Home Alone, Harry Potter) décide de produire son adaptation avec les Belges d'Umedia (pratiquement toute l’équipe technique est belge) et en confie la réalisation au Danois Anders Walters, oscarisé pour son court-métrage Helium. Ceux qui, l’année dernière, ont vu A Monster Calls (Quelques Minutes après Minuit) de J.A. Bayona, seront en terrain connu puisque les deux films mettent en scène des ados marginaux qui, afin d’affronter la maladie d’un de leurs parents et d’exorciser leur colère, s’inventent des mondes et des créatures imaginaires. Chez Bayona, il s’agissait d’un arbre millénaire qui venait donner la leçon à un petit garçon. Ici, l’aspect fantastique est mis de côté jusqu’au climax pour se concentrer sur les tourments de cette gamine qui porte en permanence des oreilles de lapin et est méprisée par les brutes de sa classe qui la craignent autant qu’ils la méprisent. N’ayant pas sa langue dans sa poche, Barbara a toujours une réplique cinglante à leur offrir pour se protéger de leur violence. Le ton est sombre et risque de choquer ceux qui s’attendaient à un énième « joli film pour enfants ». À l’instar du Labyrinthe de Pan (de Guillermo Del Toro) et du chef-d’œuvre méconnu Oz : Un monde extraordinaire (de Walter Murch), que le réalisateur a pris pour modèles, I Kill Giants est un film qui n’élude jamais la violence et les moments douloureux pour édulcorer son propos.
Beaucoup de films pour enfants plongent leurs jeunes protagonistes dans un monde imaginaire (Alice au Pays des Merveilles, Le Magicien d’Oz) mais peu questionnent réellement leur santé mentale, sujet tabou au sein de l’industrie hollywoodienne où l’enfant est sacré. I Kill Giants se moque de ces conventions. Le film fonctionne davantage en tant que drame psychologique grâce à la performance époustouflante de la jeune Madison Wolfe, assez mûre pour que l’on ressente sa profonde tristesse, mais n’essayant jamais de passer pour plus âgée. Barbara se complait dans son statut de marginale et rejette tous ceux qui ne veulent pas entrer dans son « délire », y compris sa sœur dont le dévouement est pourtant admirable. Sa psychologue en sait quelque chose puisque, lors d’une de leurs premières rencontres, elle se fait gifler par la gamine, désemparée par la tournure de la conversation. Les raisons du monde imaginaire et de la « profession » de Barbara sont volontairement laissées ambigües jusqu’au dénouement. Une fois révélées, elles risquent de diviser tant le film n’essaie jamais de justifier à tout prix tous les problèmes mentaux de son héroïne. Tout n’est pas emballé avec un joli ruban rose et tous les traumas de Barbara ne sont pas résolus. Elle restera probablement différente et incomprise jusqu’à son dernier souffle. Mais cette aventure lui donne l’occasion d’affronter ses démons et de faire un petit pas de plus vers un hypothétique bonheur.