Habib est en plein questionnement identitaire : son rêve est d’incarner Saint François d’Assise au théâtre, mais tout le monde s’oppose à l’idée d’un acteur arabe incarnant une icône du catholicisme. Et comment incarner la foi lorsqu’on ne la ressent pas de l’intérieur? Malgré son manque de succès, Habib est un acteur « difficile » et exigeant, à l’instar de Dustin Hoffman dans Tootsie : ainsi, lorsqu’on lui demande de faire semblant d’observer un oiseau, Habib répond: « Quel genre d’oiseau? » L’occupation d’acteur sans emploi lui vaut bien des mésaventures, burlesques ou humiliantes, qui donnent autant de scènes cocasses : approcher un grand brûlé pour lui proposer de jouer un lépreux, se retrouver menotté, puis oublié lorsqu’un assistant disparaît avec la clé, se rendre avec sa grande sœur devant une secrétaire de production mal lunée pour réclamer son salaire et se voir rétorquer que, puisqu’il n’a pas parlé dans la scène, il est considéré comme figurant… Mais c’est surtout l’emprise familiale (sa sœur Nadia, sévère, son père, qui réapparaît après des années d’absence avec une jeune maîtresse et la maladie d’Alzheimer…) et le spectre de la religion qui pèsent lourd sur ses frêles épaules.
Dans le style poétique et bon enfant qui caractérise son cinéma (Le Signaleur, Les Convoyeurs attendent, Cowboy, Les Rayures du zèbre), Benoît Mariage nous propose un nouveau personnage de gentil doux-dingue comico-tragique incarné par Bastien Ughetto avec un mélange de mollesse et d’idéalisme. Comme à son habitude, le cinéaste nous propose une galerie de personnages secondaires irrésistibles : Catherine Deneuve en Catherine Deneuve, Sofia Lesaffre en grande sœur colérique, Michel Fau en directeur de casting odieux et raciste, Thomas Solivérès en imbuvable metteur en scène, bobo jusqu’à la caricature, et surtout la lumineuse Daphné Van Dessel, véritable révélation du film, qui incarne avec grâce une jeune malvoyante dont Habib tombe amoureux.
Entre thématiques identitaires, gags absurdes, satire mordante du milieu du cinéma et émotion, Habib, la grande aventure, dans le style du délicieux Salut l’artiste (1973) d’Yves Robert, questionne les limites d’un univers impitoyable et pose la question « Pourquoi mettre tant d’énergie à être ce qu’on n’est pas? »