Passé maître dans l’art du thriller tiré de faits réel (L’Affaire SK1, Sauver ou périr), Frédéric Tellier nous raconte l’éternel combat (perdu d’avance ?) de David contre Goliath, celui d’individus ordinaires, héroïques et persévérants par nécessité, contraints et forcés de se mesurer au système, au risque de tout perdre. À l’instar des américains Erin Brockovich et Dark Waters, autres thrillers pamphlétaires destinés à faire la lumière sur des crimes écologiques à grande échelle, Goliath montre les agissements criminels (d’un point de vue moral et éthique, mais pas encore juridique) d’une multinationale qui a sciemment empoisonné une partie de la population pour une seule raison : le profit. L’entreprise va maintenant s’acharner à effacer les traces de ses méfaits, quitte à faire de nouvelles victimes, en utilisant des armes encore plus pernicieuses : l’intimidation, le mensonge, la calomnie, la manipulation de l’opinion publique, les pots-de-vin... Ce système vicié est décrit de manière minutieuse par le cinéaste, qui décrit les agissements d’une entreprise tentaculaire et désincarnée (on ne sait pas vraiment qui prend les décisions), au pouvoir apparemment illimité, pour qui écraser ses victimes et autres mécontents n’est qu’une formalité.
Goliath, certes, suit une formule devenue très classique, mais le fait avec maestria. Le point fort du film, outre la multiplicité des points de vue, est le portrait terrifiant du visage public de la corporation : dans le rôle de Mathias, gendre idéal, charmant, sûr de lui, toujours poli et souriant, mais d’une arrogance, d’une intelligence et d’une répartie redoutables, Pierre Niney crève l’écran. Il fait véritablement froid dans le dos dans le rôle de ce salopard calculateur qui reste pourtant ambigu et humain du début à la fin. Mathias est-il cynique ou se ment-il à lui-même ? Croit-il les mensonges qu’il assène au public ? Quoi qu’il en soit, on tient là un mémorable méchant de cinéma, l’image éminemment sympathique de Niney lui conférant une aura diabolique. Inspiré par la prestation de Paul Newman dans Le Verdict, Gilles Lellouche excelle lui aussi dans la peau d’un attachant anti-héros, un homme abimé, à l’apparence négligée, obligé de remonter sur le ring malgré les menaces de mort quotidiennes. L’unique face à face entre l’avocat et le lobbyiste donne lieu à une scène électrique, tout comme celle où Patrick est confronté dans son bureau à un couple d’agriculteurs âgés, qui ont accepté une enveloppe remplie d’argent en échange de leur silence.
On pouvait craindre le syndrome du « grand film à sujets » (le débat sur les pesticides, la déshumanisation et la corruption au sein des grandes corporations, la misère épouvantable des jeunes agriculteurs, la manipulation des médias), mais Goliath est avant tout un film de personnages et d’émotion. Avec un rythme effréné, un grand sens du suspense, ainsi qu’une distribution de premier choix (les seconds rôles interprétés par Jacques Perrin, Marie Gillain, Laurent Stocker ou Chloé Stéfani sont tous excellents), Tellier propose un drame choral aux accents kafkaïens, rigoureusement scientifique et admirablement documenté, qui fait le constat désespérant de l’échec et des dérives criminelles d’une société capitaliste malade. Œuvre utopique et engagée que n’aurait pas renié le Costa-Gavras des années 60-70, Goliath illustre un combat pour la survie - au sens littéral - de l’humanité, mais également de notre survie en tant que concept moral.