Les deux Grands Prix du festival ont justement été attribués aux deux facettes de cette histoire. Le Grand Prix du Jury a été décerné à une fiction historique, Augusta Amiel Lapieski, signée Franck Renaud. Quinze minutes pour réveiller une mémoire scellée par la condamnation d'actes qualifiés de terroristes à l'encontre de l'intérêt général de l'Etat français. Une jeune femme découvre, à la mort de sa mère, les secrets de sa famille. Sa grand-mère faisait partie de l'armée de l'ombre, la cinquième colonne, celle qui soutint les révolutionnaires indépendantistes du FLN en leur apportant fonds et documents nécessaires à leurs activités. Augusta Amiel Lapieski était, ce qu'on appelle, une porteuse de valise. Franck Renaud, le réalisateur, vient de la vidéo et de la mise en scène théâtrale et il a tiré profit de ses origines artistiques. Le grand mérite de son premier film de fiction tient à l'innovation de la mise en scène pour le cinéma. Adaptant un procédé souvent utilisé dans les arts de la scène, il projette des images d'archives représentant les révélations que le personnage vivant fait au fur et à mesure de ses fouilles. Ces projections faites sur un plafond, un mur dénudé ou le dossier d'un fauteuil, rendent présent le passé effacé.
Le Prix de l'Acharnière a été décerné, quant à lui, à un documentaire sur la communauté qui peuplait le quartier industriel textile à la jonction de Roubaix et de Tourcoing, ou plutôt son unique survivant, le café « Chez Salah ». Cet Algérien arrivé en France dans les années 60 a ouvert cet établissement en 1965. Il a mobilisé à lui seul toute la contestation citoyenne des banlieues populaires lilloises. La zone de l'Union, quartier ouvrier aux abords des grosses industries du textile, se vide de ses gens au rythme de la fermeture des usines, des maisons emmurées qui jalonnent les rues désertées avant de disparaître totalement sous les coups de grues et de pelleteuses. Le but suprême, la construction d'un quartier mixte résidentiel de standing et bureaucrate. Mais c'était sans compter sur Salah, « Ouvert même pendant les travaux » ! Ce film militant dans le bon sens du terme est le portrait d'un lieu où l'histoire d'un homme et de quelques proches se confond avec l'Histoire, politique et économique de deux continents, d'un pays et d'une région.
Le Prix de la première œuvre a été octroyé à Partir, revenir ou l'ambiguïté de la vie de Juliette Warlop. Cette journaliste a voulu comprendre comment on en arrivait à poser l'acte fatal à sa vie. Elle part à la rencontre de récidivistes du suicide. Fait avec beaucoup de retenue et de distance, Juliette Warlop nous livre l'incompréhensible douleur qu'ont vécue ces témoins dans une mise en scène particulièrement respectueuse du spectateur, en évitant l'émotionnel ou le jugement.
Dans un registre léger et dynamique, on a pu découvrir un film d'atelier, réalisé par des élèves d'un collège de Villeneuve d'Ascq, banlieue post-estudiantine de l'Est lillois. En avoir ou pas, sous la direction de Patrice Deboosere, est une jolie comédie, pleine de fraîcheur et faussement naïve qui éclairerait certainement un grand nombre de parents d'adolescents inquiets à l'idée d'aborder un sujet qui fâche; la sexualité. Sujet on ne peut plus sensible pour des parents qui s'interdisent d'imposer le silence tabou sur la question des rapports sexuels, mais qui ne savent pas comment l'aborder sans avoir l'air de sermonner… Ils pourront s'inspirer des explications fournies par la pharmacienne qui donne tous les détails quant aux critères du choix des capotes. Drôle et instructif ! Ce film a reçu le Prix du CRRAV, décerné à une réalisation associative.
Prix de l'innovation à Generatia de sacrificiu de Jean-Christophe Couet, un film fait uniquement avec des images d'archives sur les citoyens roumains poussés à espionner leurs collègues et condisciples sous le régime de Ceausescu. Ceux que l’on appelle « les enfants de Ceausescu ». Ce film est le résultat d'un énorme travail de recherche et de montage, d'une belle fluidité.
Le prix du meilleur montage a été attribué à Deuxième bureau de LixinBAO, un superbe film chorégraphié sur la condition des concubines.
Une mention spéciale a été également attribuée au documentaire de Daniel Cling, Abdelkrim et la guerre du Rif, pour l'intérêt du sujet qui révèle une face de l'histoire marocaine souvent cachée derrière les intérêts des pouvoirs centraux.
Un festival dense en quantité et en qualité rendu possible grâce à l'énergie sans limites de ses organisateurs dont Louisette Faréniaux, maître de Conférence à la Faculté de Filmologie de Lille III et cheville ouvrière de cette manifestation citoyenne depuis ses débuts.