Thibault Emin, dont c’est le premier long métrage de fiction, adapte ici son court de 2007 et, s’il fait montre d’une ambition folle, a le bon sens de limiter l’action à un appartement (contrairement, par exemple, au récent Règne animal, qui développait un scénario similaire) pour un huis clos qui tente en vain de le rester (clos). Or, si les premiers jours décrivent la naissance de sentiments amoureux et d’une intimité complice, les suivants ne seront qu’un interminable cauchemar organique. Le cinéaste convoque des idées chères à David Cronenberg et Shin’ya Tsukamoto (références inévitables dès que l’on aborde le thème du body horror) : cela commence par des marques inhabituelles sur la peau, mais en quelques heures seulement, la fusion est achevée. Un SDF du quartier fusionne avec les pavés du trottoir, un chien avec une poutre en bois, une jeune femme avec ses draps de lit... Les murs des bâtiments et les objets fusionnent entre eux également. Les malades ne meurent pas, ils se métamorphosent, se déplacent avec les atomes. Mais la fusion, comme dans La Mouche ou Tetsuo, provoque une douleur intense. Les victimes encore capables de parler demandent qu’on les achève. D’autres deviennent monstrueuses, pathétiques. Faut-il les laisser vivre ou les achever ? Sont-elles vivantes, mortes ou dans un état intermédiaire ?
S’il est un film dont Else se rapproche thématiquement, c’est le merveilleux L’Homme qui rétrécit, de Jack Arnold. Comme le héros malheureux de ce chef d’œuvre de 1957, nos deux « héros ordinaires » se retrouvent piégés dans un nouveau monde cosmique qu’ils ne comprennent pas, aussi angoissant qu’ensorcelant. Un univers étrange où les formes, les chairs, les atomes sont en constante évolution, permettant aux auteurs (le réalisateur lui-même et Alice Buthaud) d’aborder des thèmes qu’ils exploitent avec une originalité qui ne se dément jamais : la joie de la naissance de l’amour, la peur de se perdre (Cass et Anx ne peuvent plus se regarder dans les yeux), la notion de sacrifice et, enfin, la résignation à sombrer dans le néant.
Si Else n’est pas dénué de défauts inhérents à l’exercice du premier film (notamment une interprétation inégale), il fait preuve d’une telle ambition thématique, philosophique et visuelle (on passe d’un âpre drame en chambre à un trip de science-fiction psychédélique, mais aussi de la couleur au noir et blanc…) qu’il est difficile de ne pas être impressionné. Mettant en scène des entités « nouvelles » (les effets spéciaux numériques sont sidérants), le final, dantesque et poétique, nous fait perdre tous nos repères et nous entraîne dans des contrées totalement inédites.