Nous sommes à El Ejido, une gigantesque banlieue d’Almeria, en Andalousie, au bord de la mer. Ici depuis vingt ans, chaque petit propriétaire terrien a succombé au culte de l’agroalimentaire toute catégorie, construisant ses propres serres à la va comme je te pousse. Aujourd’hui, soutenus par une multitude de banques, organisés en coopératives ou en sociétés de production, ces nouveaux patrons dominés par la rentabilité, gèrent la plus grande concentration de culture sous serres au monde.
El Ejido, en une suraccumulation maladive, concentre tous les signes d‘un libéralisme frénétique que rien ne vient limiter. La mise en coupe réglée du paysage en fonction des impératifs de la production se conjugue ici avec la réorganisation de l’espace social suivant le flux des marchandises, favorisant l’apparition de bidonvilles insalubres, véritables réserves de travail vivant, où survit un prolétariat délocalisé autant que clandestin.El Ejido, la loi du profit, le dernier film documentaire de Jawad Rhalib fait la radioscopie implacable de cette communauté de travailleurs en s’intéressant plus particulièrement à la situation de quelques immigrés marocains. État des lieux terrible n’ignorant rien des conditions de vie dramatiques dans lesquelles chacun se débat, le film parvient à rendre sensible la situation contradictoire des immigrés qui évoluent difficilement entre le rêve d’une réussite liée à l’Europe et l’évidence affective que « Le Maroc, c’est mieux ».Avec une grande intelligence, et beaucoup de justesse dans le ton, il montre comment la survie individuelle se cherche des solidarités et comment la compétition brise bien des formes de résistance. Entre ceux qui crèvent dans des taudis insalubres et ceux qui, ayant vaguement réussi, reproduisent les attitudes des autres chefs d’entreprises, El Ejido, la loi du profit dépasse les limites du constat pour réellement interroger la démesure d’un mode de vie où la grande majorité d’entre nous ne se retrouve pas. Film à la fois critique et édifiant, il y a dans la démarche de Jawad Rhalib une radicalité cinématographique qui demande encore à s’éprouver, à faire l’économie du reportage et de l’informatif. Si parfois une approche par trop journalistique alourdit le propos de son film, Jawad Rhalib réussit des moments d’intense vérité : sans commentaire, par la seule force de son regard et son art du montage, il nous rend presque palpable ce qui d’eux à nous se devine de commun et qui n’est le profit.