Anne Feuillère et Sarah Pialeprat : Parmi tous les films que vous avez réalisés, Dust conserve-t-il une place particulière pour vous ?
Marion Hänsel : Dust est mon deuxième long-métrage et, en effet, il a beaucoup d’importance pour moi. Franchement, si je considère les douze films que j'ai fait, il est un peu mon chouchou et ce, pour plusieurs raisons... D'abord, il reste un magnifique souvenir de tournage ! J'ai eu un bonheur intense à le faire. Le travail avec Jane Birkin, qui était ici à contre-emploi, reste un moment merveilleux ! Elle-même a souvent répété dans ses interviews quel plaisir cela avait été de tourner ensemble. Nous étions toutes les deux parties avec nos deux bébés et on se retrouvait tous les soirs avec eux, l'équipe et les baby-sitters : c'était comme être en famille, d'une facilité déconcertante. Travailler avec Trevor Howard était aussi très particulier pour moi. J'étais jeune et tourner avec cet acteur mythique, qui avait derrière lui une carrière si remarquable, était très émouvant ! Enfin, la collaboration avec le chef opérateur Walter Vanden Ende était aussi fantastique ! C'était une petite équipe, une petite production, qui me laisse un souvenir très doux. On a sans doute du mal à imaginer cela lorsqu'on voit ce film qui est terriblement âpre, rempli de haine !" },
A.F. et S.P. : Quelle a été la carrière du film ?
M.H. : La chose la plus importante est sans doute sa sélection officielle au Festival de Venise. Très peu de films belges, à cette époque, avaient été sélectionnés dans des festivals de classe A, c'est-à-dire des festivals internationaux réputés. A Venise, Dust a reçu le Lion d'argent ! Je ne m'y attendais pas du tout, ça a donc été une énorme surprise pour moi. Cette année-là, le Lion d'Or a été attribué à Agnès Varda pour Sans toit ni loi : deux femmes au palmarès ! Il faudrait vérifier, mais cela n'a pas dû arriver très souvent ! Ensuite, le film a bien marché, même s'il n'a pas reçu beaucoup d'autres prix. Il s'est surtout vendu sur le long terme, dans de nombreux pays. Il faut dire que j'avais, déjà à cette époque, la chance d'avoir quelqu'un qui s'occupait des ventes internationales, Jeanine Seawell, qui m'avait repérée dès mon premier long-métrage, Le Lit. Elle a très certainement contribué au succès de Dust.
A.F. et S.P. : Dust est-il encore demandé ?
M.H. : Je ne dirais pas que c'est un « classique », n'exagérons rien, mais je pense qu'il continue à être connu... Il a été vu lors de nombreuses rétrospectives qui étaient, à une certaine époque, organisées sous l'impulsion de Wallonie Bruxelles International : à Madrid, à Montréal, en Israël, en Tchéquie. Il y en a moins aujourd'hui, car j'imagine qu'il y a moins de moyens. Mais grâce à Internet, les films de toutes les époques se retrouvent sur des plateformes et c’est le cas de Dust. En revanche, je ne sais pas du tout s'il est demandé, très demandé ou pas du tout !
A.F. et S.P. : En quoi ce film rencontrait-il son temps ?
M.H. : Indirectement, mais très clairement, Dust parle de l'apartheid. Il a été tourné en 1984 et l'apartheid a été aboli en 1991, il était donc en résonance directe avec le monde dans lequel nous vivions. Pour autant, je crois que le film reste d'actualité, car les inégalités existent plus que jamais, les rapports de force, de pouvoir, la violence... Je ne l'ai plus vu depuis un moment, peut-être 4 ou 5 ans, mais il me semble qu'il est toujours très actuel. Il faut aussi ajouter que Dust est l'adaptation d'une œuvre littéraire très forte In the Heart of the Country de l'auteur sud africain J. M. Coetzee. Lorsque j'ai décidé d'adapter son livre, il n'avait écrit que deux romans et n'était pas du tout connu. Depuis, il a publié une œuvre remarquable et a reçu le prix Nobel en 2003. Je pense que ce succès vient du fait que ses histoires, entre réalité politique et névroses personnelles, parlent à toutes les époques.
A.F. et S.P. : Quel cinéaste belge vous a donné envie de passer derrière la caméra ?
M.H. : Le premier film belge que j'ai vu est L'homme au crâne rasé d'André Delvaux. Je ne savais même pas qu'on pouvait faire des films en Belgique à ce moment-là ! J'étais très cinéphile mais, à l'époque, je ne voulais pas être cinéaste, mais bien comédienne. J'ai donc contacté André Delvaux pour jouer avec lui. Finalement, c'est lui qui a joué pour moi dans Sur la terre comme au ciel, ce qu'il n'avait jamais fait de sa vie ! Ça reste aussi pour moi un souvenir merveilleux...