Dans la peinture classique, la nature morte a longtemps été considérée, à tort, comme un style mineur, un sujet « bas », s'opposant au style noble, les grands thèmes historiques ou religieux. Iris Alexandre s'empare donc d'un genre mineur dans un format lui-même jugé mineur (le court métrage) et fait ainsi la nique, d'une bien jolie façon, à la notion même de genre ! Histoire de brouiller un peu plus les pistes, la réalisatrice mêle judicieusement animation et prises de vue réelles. Ce cochon de ferme (réel) que l'on voit se faire assommer puis égorger, laisse sa place à un cochon en pâte à modeler qui, dans une chorégraphie volontairement précieuse, va subir toutes les transformations possibles et imaginables. Ses petites pattes aux ongles carrés deviennent des pieds de porc panés, sa poitrine palpitante une terrine ornée d'une jolie dentelle, le sang qui faisait battre son cœur un boudin traditionnel, ses os réduits en poussières d'or de la gélatine à la transparence surnaturelle. Sur une musique facétieuse et très dix-huitièmiste de Michel Capelier, rôtis, saucisses et pâtés exécutent un ballet surréaliste érotisé. Si Fantasia osait mettre en scène des autruches et des hippopotames dans une étonnante zoo-chorégraphie, Dans le cochon tout est bon pousse plus loin en faisant danser des pièces de charcuterie, bref un animal mort, exécuté de la main de l'homme. Partant de si bas, il faut dès lors d'autant plus d'attention, de prudence, de talent, pour rendre les « sujets » intéressants. Faire du vivant avec du mort, voilà le beau pari réussi. La jeune cinéaste évite scrupuleusement l'écueil du film moraliste pro végétarien pour se jouer de son sujet et proposer une expérience véritablement troublante. Par là, elle renoue avec une autre grande tradition de la peinture, celle des vanités, représentant l’inéluctabilité de la mort, la futilité des plaisirs ou la fragilité des biens terrestres. Une fois la table de cochonnailles dressée, l’œuvre accomplie, jouant sur les couleurs autant qu’avec l’air et la lumière, est aussi belle qu’un tableau de Jean-Siméon Chardin.
Dans le cochon tout est bon de Iris Alexandre - A visionner sur son compte Vimeo.