Conversations avec Antoine Duhamel
Le parfait contrepoint de son enseignement musical sera la réouverture de la Cinémathèque française, rue de Mesrine. Il s’y rend six fois par semaine et vit une révélation avec des films tels que Le Chien andalou de Luis Bunuel, Nosferatu de Murnau... « C’est alors qu’a déboulé Citizen Kane, un grand événement dans ma vie. Welles m’a réconcilié avec le parlant, il m’a fasciné par son audace, tant au niveau de la narration que de la conception visuelle. » C’est aussi l’époque où Jean-Daniel Pollet tourne Méditerranée, pour lequel Duhamel se charge de la dimension musicale « la partition a une dimension organique. C’est une vraie continuité avec un point de vue unique, qui englobe les contrastes d’image. À l’arrivée, le film ressemble à un long poème sur les rapports entre le soleil et la mort, construit sur une succession de plans autonomes. On se laisse simplement guider, hypnotiser par l’image et la musique. »(p.150, partition de Méditerranée à partir d’un grand thème de Bouzouki).
Le cinéma change avec la Nouvelle Vague qui, dès la fin des années cinquante, est en pleine effervescence. Ce sont les rencontres avec Jacques Rozier, François Truffaut et Jean-Luc Godard. Le déclic avec ce dernier se produit pendant que Jean-Luc prépare Pierrot le fou dans lequel Anna Karina doit chanter. Elle demande : « Je voudrais que ce soit une chanson d’Antoine Duhamel et Remo Forlani ». Mic et Mac. C’est clip clap. Une allusion à la situation personnelle d’Anna Karina partagée entre le comédien Maurice Ronet et Godard (on trouve p.151, la partition de Mic et Mac : « Mon jul’ c’est mac, mon mac c’est mic… ») . Dès lors Ma ligne de chance, ma ligne de hanches sera créée par Bassiak-Rezvani (à qui l’on doit J’ai la mémoire qui flanche, la chanson de Jules et Jim). Exit le texte de Remo Forlani, par contre, toute la musique du film sera composée par Antoine Duhamel. « Pierrot le fou, explique-t-il, m’a communiqué des impressions que j’ai immédiatement couchées sur mes portées. Par exemple, la fameuse séquence où Belmondo et Karina traversent à pied la Durance m’a amené à écrire le fameux thème de Ferdinand. Or, Godard l’a exactement employé sur la même séquence, sans que nous nous soyons concertés au préalable. »
Trois ans plus tard, juste avant Mai 68, c’est Week-end un film dans lequel Godard « prend congé du spectacle », du plaisir de l’image, pour se lancer dans le cinéma tract. Ensuite, c’est Baisers volés de François Truffaut (dont Godard dit, à la sortie du film, on a été baisé et volé). Le titre est emprunté à la chanson de Charles Trenet Que reste-t-il de nos amours. « En reprenant les trois premières notes de la chanson –mi, fa, sol -, j’ai fait en sorte que mon thème ait un rapport perceptible avec Que reste-t-il… pour que le climat et le ton général soient homogènes.Ceci dit, les droits d’utilisation de la chanson ont coûté aussi cher que l’enregistrement de la musique originale. »
Suit une période où Antoine Duhamel retourne à la musique savante et aux concerts de musique moderne. En 1975, c’est son retour au cinéma sur deux films majeurs Que la fête commence de Bertrand Tavernier et L’Acrobate de Jean-Daniel Pollet (un film co-scénarisé par Jacques Lourcelles, à qui l’on doit le Dictionnaire du cinéma 3 chez Bouquins).
Le livre s’achève avec des témoignages de Bertrand Tavernier, Olivier Assayas et Patrice Lecomte sur leur collaboration avec Antoine Duhamel.
On ne vous offre que des petits morceaux d’un livre bien plus riche et passionnant.
Merci à Renaud Callebaut (le réalisateur de Kwiz) qui m’a offert ce superbe livre lors de mon retour dans le monde du cinéma.
Conversations avec Antoine Duhamel de Stéphane Lerouge, éditions Textuel