Mathias Desmarres part de sa propre envie de moustache qui lui gratte la lèvre supérieure et de l'origine de sa question, ces photos de famille où les hommes, de génération en génération, sont tous bel et bien moustachus, où ils trônent en hauteur et incarnent l'ordre et la sécurité. Que signifie, dès lors, être l'imberbe de l'histoire ? En ayant la peau lisse, avec quel héritage glissé sous les moustaches s'est-il agit de rompre ? Soulever le poil, serait-ce saisir en quoi consiste cet héritage ? Léger, instructif et joyeux, son film se balade du siècle dernier à nos jours pour faire surgir, derrière le poil lisse, taillé ou hirsute, toutes les représentations, les projections qu'il soulève et ce qu'il entraîne de l'homme, de sa virilité, de sa place dans la société occidentale. À travers ses propres confidences, les images de sa famille, de nombreuses images d'archives et les témoignages émouvants de ceux qui se cachent derrière leur moustache, en jouent, provoquent ou s'en « dandysent », c'est toute une sociologie du masculin que Desmarres ausculte, de ses représentations et de ses incarnations. De moustache en moustache, chemin faisant, à travers ses questions, il feuillette différentes identités masculines comme pour tenter de trouver la moustache qui pourrait lui convenir. Certes, il finira par trouver moustache à sa lèvre. Mais ce que cette quête nous apprend au final, c'est que ce petit bout de poil peut être pris par tous les bouts et signifier tout et son contraire. Aussi terrorisante que celle d'Hitler par ce qu'elle peut incarner d'ordre et de mise au pas, la moustache peut être aussi indisciplinée, folle et agitée que celle de Charlot. Mais c'est le joli ton léger, la typographie fin de siècle et le thème de la musique sortie d'un film de Chaplin qui finalement diront quel camp de moustachus Desmarres, qu'il en ait ou pas, s'est choisi. La moustache, quel que soit son état, n'est qu'une image du masculin qu'on se colle sous le nez et qu'on offre au regard.
Et la grâce de Comme une envie de moustache est de se prêter naturellement au jeu des regards. Il se construit dans ce va-et-vient perpétuel, entre le moustachu filmé, l'image qu'il cherche à projeter de lui-même, et le miroir où il la vérifie, ici, en regard, le réalisateur qui l'interroge, le spectateur qui le découvre. Avec tendresse et humour, mettant en scène sa propre maladresse, Desmarres, parce que son regard, sa caméra, sont des miroirs où l'autre vient mettre en scène son reflet, fait de son film le moment où se cherche sa propre image, l'espace où il va élaborer la propre représentation de lui-même. Comme une envie de moustache vient ainsi rejouer l'enjeu intime des hommes qu'il dévoile : avant tout, la quête d'une image de soi, indécise, toujours à redéfinir, à projeter dans le regard d'un autre, homme ou femme. C'est le processus d'identification, à travers une bête histoire de poil, qui se met en scène, la manière dont une identité, toujours fragile, se construit dans la médiation des regards.