Premier plan : contre-plongée sur une militante du droit à l'avortement avec son avocate lui tenant les épaules. En face (on ne le voit pas, on l'entend en off) un juge qui l'inculpe en récitant, avec un certain ennui, le code pénal. Suit l'accouchement d'un enfant à l'époque de l'utopie communautaire des années soixante-dix. On y voit des femmes, parmi lesquelles l'inculpée, qui aident la jeune mère à mettre son enfant au monde. « Voir est plus important que regarder » écrit Yann Le Masson. En effet…
Kashima Paradise (107' - 1973) est cependant le film le plus connu de Yann Le Masson, brestois de choc, aux images pleine d'empathie et de mystère, sur un monde dont il tient à émerger comme étant l'un de ses acteurs. Le film, tourné avec Bénie Deswarte, sociologue et compagne du réalisateur, démarre sur un hélicoptère qui sulfate les champs. Au début, c'est un insecte qui file vers nous de plus en plus près, lançant un immense brouillard qui trace un filet entre le ciel et la terre. En voix off, un texte écrit par Chris Marker et dit par Georges Rouquier : « Ce film a été tourné au Japon, un pays qui évoque des images naïves et contradictoires (…) « La co-existence d'une tradition exotique et d'une modernité à l'américaine ». Surgit alors une toile d'araignée en gros plan. On observe la vie des japonais, la foule observant, avec intérêt, l'exposition internationale d'Osaka. Après avoir évoqué l'économie traditionnelle des familles, pratiquant le ghiri (le don-contre don), suivi des paysans et des pêcheurs étranglés sur la côte par les usines Kashima, nous terminons par des séquences proches d'un film épique d'Eisenstein. À l'aéroport de Narita, on découvre la résistance paysanne armée de lances de bois face à des policiers équipés de boucliers en métal qui semblent sortis d’un manga. L'ensemble est tourné en 16mm, en pellicule noir & blanc, (moins chère à l'époque) avec une caméra Eclair disposant du célèbre zoom « Angénieux ».
Avec Heligonka (27', 1984), Le Masson suit la cécité progressive de son frère en brouillant petit à petit son objectif, (van der Keuken dans Herman Slobe, l'enfant aveugle 2, avait joué sur le son : Herman se saisit du micro et devient reporter).
On découvre aussi, J'ai huit ans (8',1961) co-réalisé avec Olga Poliakov, portraits d'enfants algériens, un an avant l'indépendance du pays, après une guerre que Yann Le Masson a vécue comme un calvaire. Il n'obéit pas seulement à l'armée française, mais au parti communiste qui lui a demandé d'être officier dans les troupes d'élite (il fut donc lieutenant chez les paras), obligé de tuer des ennemis qui sont ses amis pendant la durée de son service militaire. On comprend pourquoi, au début des années soixante, il devint « porteur de valises » pour le FLN.
Ce personnage singulier, hors du commun, aux vies multiples, nomade avant l'heure, est présenté par Patrick Leboutte dans un livret. Lui-même nous raconte une partie de sa vie aventureuse.
Rappelons que « Le geste cinématographique » nous a offert deux coffrets sur le cinéma de Jean Rouch et cinq sur les films de Jean-Marie Strauss et Danièle Huillet.
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Sur les liens entre les 3 axes du système liés, sans être équivalents - capitalisme - économie de marché et libéralisme, lire le ch.1 Le Capitalisme à l'agonie de Paul Jorion, éditions Fayard. Sur la résistance Du retour, abécédaire biopolitique de Toni Negri, édition Livre de Poche, Biblio-essais.
Coffret Kashima Paradise, le cinéma de Yann Le Masson, (DVD 1, J'ai Huit ans, Sucre amer, Regarde, elle a les yeux grands ouverts, DVD 2, Kashima Paradise, Heligonka), livret. Éditions Montparnasse, diffusé par Twin Pics.