Marc Stevens, chanteur de charme, fait la navette un soir d’hiver entre deux prestations mémorables : dans une maison de retraite et une kermesse aux boudins. Tombé en panne avec sa camionnette, il n’a d’autre alternative que de se réfugier dans une auberge perdue en pleine forêt, tenue par un aubergiste un peu braque (Jackie Berroyer, qui n'a jamais été autant à son affaire sur grand écran.) La présence de Marc réveille chez le loufiat de douloureux souvenirs mal digérés. La fêlure de la cafetière du cafetier atteint brusquement des proportions abyssales. Confondant, dans son délire, le brave Marc avec son épouse qui l'a quitté pour aller chercher gloire et fortune sous des cieux plus cléments, Bartel (c'est le nom du louf) le séquestre et lui fait subir outrages et avanies de toutes sortes.
Et à peine Marc espère-t-il échapper à son triste sort que surviennent les habitants du village voisin (emmenés par un Philippe Nahon également au mieux de sa forme) dont on s'aperçoit très vite qu'ils ne cèdent en rien au sympathique Bartel sur le plan de la galéjade primesautière.
Ça va saigner. Et nous voilà partis pour un survival gore movie de série B, comme les affectionnent les aficionados des séances de 24h 30’ du Festival du Film fantastique de Bruxelles. D’autant que (autant tout vous dire tout de suite) Fabrice du Welz et sa sympathique équipe ne se laissent pas arrêter par grand chose en matière d'outrance. Tout au long du film, on assiste à la transgression des tabous les plus ancrés. On se dit bien que cela doit forcément plafonner à un certain degré, mais la crème ne s'arrête jamais de monter. Massacre à la batterie de camionnette, transformisme, crucifixion, tonte de cheveux, sodomie pratiquée sur des porcs (pauvres bêtes), équipe de foot de joueurs nains… et encore, on vous passe le pire. Le pauvre Marc semble voué à cristalliser sur sa personne de la façon la plus épouvantable tous les fantasmes d'amour déçu ou frustré de ses malheureux compères. Le tout bien sûr constitue un exercice à haut risque, ambigu en diable. La plus petite faute de (mauvais) goût, et on bascule dans l’horreur répugnante, pas regardable.
Le talent consommé de Fabrice du Welz consiste toutefois à nous maintenir dans cette zone entre chien et loup où le délire pourrait très vite cesser d'être drôle, sans jamais basculer. Sa capacité à marcher sur un fil, entretenant à plaisir une ambiance trouble, unique, on avait déjà pu l’apprécier dans Quand on est amoureux c'est merveilleux, son remarquable premier court-métrage. Et avec son univers décalé, son histoire outrée à l'extrême, ce sont bel et bien les travers de la société moderne que du Welz pointe du doigt: les peurs croissantes, jusqu'à la paranoïa collective, le déficit de communication, l'incapacité à accepter l'autre tel qu'il est, la tendance à le considérer comme un objet qu'on consomme. Le miroir que nous tend Calvaire est déformant, pas franchement sympathique, mais c'est bel et bien un miroir.
Enfin, il y a la maîtrise et la connaissance du cinéma de Fabrice du Welz , qui n’hésite pas à assumer des choix techniques (notamment d’éclairage) plutôt osés. En outre, biberonné aux séries B américaines des Carpenter, Romero, Hopper, Craven comme aux grandes oeuvres du cinéma bis transalpin, le réalisateur transforme son film en hommage superbe, décalquant des scènes entières sans que la parodie, jamais, ne tourne à vide. Et sans pour autant sacrifier l'esprit de ce qui reste un très bel exemple (unique sous nos latitudes) de fantastique gore européen.