Arbres est une histoire de l’Arbre et des arbres. Il commence par les Origines puis voyage à travers le monde des arbres et les arbres du monde. Le film raconte les grandes différences et les petites similitudes entre l’Arbre et l’Homme avec l’idée prégnante que l’arbre est au règne végétal ce que l’homme est au règne animal. Arbres est un parcours dans une autre échelle de l’espace et du temps où l’on rencontre des arbres qui communiquent, des arbres qui marchent, des arbres timides ou des arbres fous... Arbres renverse quelques idées reçues en partant du constat que l’on voit toujours l’animal qui court sur la branche mais jamais l’arbre sur lequel il se déplace.
Anne Feuillère : Comment a été reçu Arbres en Belgique au moment de sa sortie ?
Sophie Bruneau : Arbres a connu un phénomène assez rare en termes de distribution. Le film était prévu pour la télévision, mais, parce que nous nous considérons auteurs dans nos désirs, nos choix, notre histoire, nous l'avions naturellement pensé pour la salle de cinéma. Alors, nous sommes allés voir Thierry Abel au cinéma Arenberg. Lui, au même moment, réfléchissait à une manière de passer plus de films dans ses deux salles, ce qu'on appelle aujourd'hui la multiprogrammation. Il était partant et sa confiance nous a donné une énergie folle. Sortir ce film en salle, avec le recul, c'était un vrai pari ! Nous nous sommes donc transformés en distributeurs : on a réalisé des affiches, on les a collées, on a contacté les gens et fait des projections de presse... Là, le jour de la sortie du film, on se retrouve avec un article de Jean-François Pluijgers dans La Libre et trois photos couleurs du film à la Une. Et puis, feue l'émission « Le Jardin extraordinaire » du dimanche soir invite Françis Hallé, le botaniste qui nous a tant inspiré, Fabienne Bradfer écrit une page complète dans le MAD... La presse qui entoure alors ce film météorite est assez incroyable, inattendue. Tout s'enchaîne, le bouche à oreille marche, et il va y avoir, si j’ai bon souvenir, autour de 6.000 personnes rien qu'à l'Arenberg. Cela a permis d’envisager ensuite une sortie salles en France. Pour nous, c'était un vrai conte de fée !
A.F. : Comment expliquez-vous ce succès avec le recul ?
S.B. : Les raisons sont peut-être les mêmes que l’origine de notre propre désir de réaliser ce film. Notre étonnement face aux histoires d’arbres a joué pour beaucoup, et nous avons ensuite tenté de le raconter. Le cinéma a cette capacité à nous ouvrir les yeux sur ce qui nous entoure, à rendre extraordinaire l’ordinaire, à nous faire voir, comme pour la première fois, ce qu’on croyait connaître depuis toujours.
A.F. : Ce film a-t-il changé quelque chose dans votre chemin de cinéaste ?
S.B. : Le cinéma est une sorte d’école permanente. On apprend, on s'appuie et on s'élance à chaque film. Pour ma part, ce film a changé mon rapport au cinéma. J'ai été confrontée comme jamais à cette question fondamentale des intentions, celle qui revient à chaque film : que veut-on raconter, et comment ? Arbres arrive après Pêcheurs à cheval et Pardevant notaire, mais c'est un parcours de réalisation incroyablement long, près de dix ans d'histoires. On accumule les savoirs, les repérages, les rencontres, les échecs, on continue, et puis un jour, notre coproductrice française rencontre une chargée de programme à Arte qui veut faire une soirée théma sur les arbres. Nous avons acquis une maturité qui nous permet d'écrire un moyen-métrage assez rapidement autour de ce rapport entre l'Homme et l’Arbre, cette vision du monde où nature et culture sont indissociables. Alors, nous passons à l'acte et commençons à nous demander comment filmer un arbre ? Comment le faire passer d'objet à sujet ? Tout notre travail de cinéaste est là. Devant chaque arbre, les réponses étaient différentes. C'était moins une histoire de moyens qu’un travail de fond sur les intentions... Partir de ce qu'on veut raconter, commencer à créer des formes qui pensent, c’est-à-dire développer des logiques de mises en récit où l'écriture porte l'histoire en question. La forme est un tremplin pour que l'histoire se déploie. Elle fait sens au-delà des mots. Ça se joue dans le choix d’un mouvement, d’explorer et d’exploiter les jeux de rapports entre les choses, de repréciser en permanence les partis pris… Ça aura été pour moi une école très riche et une expérience de vie fondatrice. Et heureusement, finalement, c'est dix ans d'apprentissage (rires) !
A.F. : Est-ce qu'on vous parle toujours de ce film ?
S.B. : C'est un film qui circule encore, il est un peu intemporel. J'ai été au Musée de l'Homme le présenter la semaine dernière. La salle était quasi pleine. Je ne l'avais plus vu depuis longtemps. Je craignais qu'il ait pris un coup dans l’aile. Mais les spectateurs étaient très touchés. C’est un film qui crée une émotion palpable à la sortie.
A.F. : Ce succès vous a-t-il permis d'avancer plus facilement dans votre chemin de cinéaste ?
S.B. : C'est un succès tout relatif ! Ce n'est pas non plus Les Bronzés 3 ! Mais cette fameuse triangulaire entre filmeur-filmé-spectateur a bel et bien eu lieu, et c’est important pour chaque partie. C'est toujours rassurant que le travail soit reçu. Quand on raconte une histoire, on a envie, besoin qu'elle soit entendue. Cette reconnaissance à ce moment-là nous a donné de la force. Celle de continuer…