Annette est trop immense, trop complexe, trop riche pour être abordé en ces quelques lignes. Fruit de la collaboration entre le groupe Sparks, dont c’est d’abord et avant tout l’album, et le cinéaste français, l'œuvre est aussi puissante que simple, aussi grandiose que vaine.
Simple et vaine, car le récit n'est finalement que celui de l'amour éperdu que se vouent Ann (Marion Cotillard) et Henry (Adam Driver), et de leur création Annette, cette enfant qui semble venue d'un autre monde. Puissante et grandiose, car elle est habitée par toute la force du cinéma de Carax, la beauté des mélodies de Sparks, et le talent du duo Cotillard-Driver, en voix comme en jeu impressionnants.
Pris en son direct pour la plupart, les séquences chantées créent une atmosphère irréelle, sublimant cette réalité pour amener les émotions des personnages à leur paroxysme. À l'instar des moments de grâce de Simon Helberg, ce chef d'orchestre fou amoureux d'Ann, dont la prestation n'est jamais aussi forte que lorsque déclame ces textes à la limite du slam. Des mots et des larmes transcendés par les chœurs et par le tournoiement de la caméra qui l'accompagnent.
Aucun plan n'est superflu dans Annette. Chaque image, chaque prise de vue capturée par la chef opératrice Caroline Champetier est un tableau en soi. Fresque d'une menace à venir parmi les vallées de Los Angeles, plongée dans la pensée d'Henry dans ces incroyables séquences nocturnes au long des interminables routes de Californie, ou encore valses nautiques et nuits crépusculaires, tout est beauté dans ces images, aussi belles que terribles.
Par cette caméra au service du spectacle vivant et pourtant éminemment cinématographique, le film sublime les opéras de Ann, personnage pour lequel Marion Cotillard a travaillé son chant, sa gestuelle, pour mourir à répétition. Suprême ironie pour cette actrice détentrice de la “pire mort” du cinéma. Et si les plus hautes de ses vocalises, elle les doit à la cantatrice Catherine Trottmann, on s’y laisserait prendre, tant la transition est fluide d’une voix à l’autre. Par la complexité de leur montage et la finesse de leurs éclairages, Carax et son équipe extraient l'essence des joutes verbales que sont les shows d'Henry.
Et enfin, par cette relecture de la fable de Pinocchio dont le personnage d’Annette est, non pas l’héroïne, mais l’instrument jusqu’à l’ultime libération, Carax ajoute une dernière couche de poésie à son œuvre, déjà infiniment riche, infiniment belle. En un mot comme en mille, gigantesque.