Un matin, Nejma se réveille avec un gros hématome sur le bras et sans le moindre souvenir de la soirée arrosée entre collègues du jour précédent. Victime d’un blackout, elle a pu être témoin du premier incident, mais sa mémoire flanche. Lorsque la chasse au « monstre » est lancée, elle reste à l’écart, mais le regrette amèrement quand les chasseurs abattent Tonnerre, son taureau favori, désigné coupable des drames.
La poussière, la sueur, l’effort physique harassant, un amour fusionnel et un lien quasi télépathique avec de puissants taureaux… voilà le monde de Nejma résumé en quelques mots. Pour son deuxième long métrage (succédant à la comédie romantique Fragile, sortie en 2021), Emma Benestan prend plaisir à nous induire en erreur: alors que l’on croit avoir affaire à un plaisant succédané de ces films sportifs américains avec compétition finale à la clé, la cinéaste, à mi-parcours, effectue un virage à 180 degrés dans une direction aussi inattendue que gonflée: le fantastique tendance body horror à la David Cronenberg! Une tournure marquée par des cauchemars fiévreux dans lesquels la jeune femme, alitée, se voit marquée au fer rouge comme les bovidés dont elle s’occupe.
Difficile d’évoquer Animale sans dévoiler un élément clé de l’intrigue, même si le secret du film se devine et se dévoile en fin de compte assez rapidement. Si ses thématiques (traumatismes refoulés, masculinité toxique) et sa structure narrative rappellent des œuvres comme Black Swan (2010, de Darren Aronofsky), mais aussi le méconnu (et formidable) film suisse Blue My Mind (2017, de Lisa Brühlmann), le film s’en distingue par son austérité et par la bizarrerie de ses tableaux oniriques. La nature surnaturelle de l’intrigue donne à admirer des effets spéciaux particulièrement réussis, rappelant les prouesses effectuées par Rick Baker sur Le Loup-Garou de Londres.
L’environnement presque 100% masculin dans lequel baigne Nejma ancre le film dans l’air du temps, dans un cinéma post-#MeToo ouvertement féministe et revendicatif, mais avec suffisamment de nuances pour ne pas tourner en diatribe simpliste. Si l’argument surnaturel surgit au sein du récit d’une manière trop aléatoire pour convaincre totalement, et si l’exécution des scènes les plus intenses nous a paru trop timorée (un tel propos nécessitait davantage de fureur), l’interprétation habitée de l’attachante Oulaya Amamra (découverte dans Divines et revue dans Fumer fait tousser) et l’audace indéniable d’une réalisatrice à suivre font d’Animale une proposition de film de genre aussi originale que surprenante, certes un peu maladroite et pas totalement aboutie, mais nous laissant avec le souvenir d’un film viscéral aux allures de cauchemar éveillé.