Didier Stiers : En 1976, Agulana reçoit le premier Prix du Jury du court-métrage à Cannes. Grande année, donc ?
Gérald Frydman : C’est aussi l’année de Taxi Driver ! J’avais croisé De Niro sur un trottoir, à Cannes. En Belgique, Agulana est passé en complément du film et a eu une excellente sortie. Ça avait été annoncé dans le journal : il y avait l’affiche de Taxi Driver et en-dessous, celle d’Agulana. C’est le producteur qui avait arrangé ça. Moi qui suis cinéphile, tout ça m’a touché, c’est le moins qu’on puisse dire (rires).
D.S. : Certains plans rappellent un peu la peinture surréaliste.
G.F. : Mes films sont surréalistes, malgré moi. Je conçois les histoires comme ça, je ne suis pas dans le réalisme, je suis dans le spectaculaire, mais avec un contenu moral et philosophique. Ce n'est pas gratuit, quoi ! Le film est intitulé d’après le nom du village espagnol, Agullana, dans lequel je travaillais avec le dessinateur qui, lui, vivait là. J’ai été très influencé par ce que j’y voyais : les forêts, les estaminets avec leurs tables et leurs chaises, où le bois prend le pouvoir. Ensuite, je me suis rendu compte que je faisais allusion à mon enfance : un régime totalitaire, la déportation de ma famille… Tout cela est revenu malgré moi. Et puis, la dernière armoire se trouve à l’emplacement exact de Perpignan, la ville favorite de Dali ! Ça, on l’a fait exprès !
D.S. : A votre avis, quel accueil recevrait aujourd’hui votre film ?
G.F. : Oh, mais je le montre de temps en temps et ça plaît toujours. Je l'ai remontré en Espagne, lors du vernissage d’une exposition de Claude Lambert, le dessinateur du film. Ça a beaucoup plu au public espagnol. Ça n'a pas vieilli. C’est un film intemporel.
D.S. : Dans quelle mesure Agulana a-t-il « boosté » la suite de votre parcours ?
G.F. : Au départ, je faisais de la photo et je voulais faire de la fiction. Mais comme j'avais des amis qui étaient dans l'animation, finalement, je me suis mis à animer mes photos. Et puis ce sont devenus des dessins… J’avais aussi beaucoup de contacts avec les équipes de Belvision, où Claude Lambert était décorateur pour les longs-métrages. De fil en aiguille, je suis resté dans l'animation. Et je ne suis pas parvenu à tourner un long-métrage, même si j’ai eu un ou deux projets qui n’ont pas abouti à cause des producteurs. Longtemps après, j'ai réalisé une comédie qui s'intitule J'ai eu dur, avec Stéphane Steeman notamment. Comme il y avait des accents belges, ça a beaucoup plu à certains et beaucoup déplu à d'autres, pour lesquels j’avais commis une horreur. Ça n'a pas aidé pour la suite (rires).
D.S. : Quelle est votre actualité ?
G.F. : Je travaille sur un projet de long-métrage d’animation d'après un scénario de long-métrage de fiction qui ne s'est pas fait à l'époque. Avec le producteur, nous attendons que le grand studio bruxellois avec lequel ça doit se faire soit disponible. Donc j’espère, et j’attends. Mais c’est un métier où il faut toujours beaucoup attendre. Quand on va commencer, ça prendra quatre ou cinq ans. C’est un travail de longue haleine.
Didier Stiers