Didier Stiers : De votre point de vue, onze ans après sa sortie, A l’ombre du voile est-il toujours autant d’actualité ?
Arnaud Demuynck : Je me pose toujours les mêmes questions et ça me donne toujours autant de fil à retordre. A l’époque, il y avait la loi, les manifs, on était dans le jus politique. Selon moi, la problématique des communautés, la tension est même encore plus aigüe qu’il y a dix ans. Mais le film me plaît, parce que je sais très bien la générosité et l'amour que j'ai mis dedans et ce, pour quelque communauté que ce soit. Là, ce sont des musulmans, mais c'est plus un film d'amour, né de liens d'amitié avec des gens que je connais, plutôt qu'un film polémique qui suscite un avis politique.
D.S : Mais il peut aussi être perçu comme tel ?
A.D. : Oui, mais je me dis que je peux parler de ce que je veux en tant que citoyen. Beaucoup de jeunes musulmans me disaient que je n’avais pas le droit de parler de ce sujet-là, parce que je n’étais pas musulman. Et là, on entrait dans des discussions sur l’obligation, l’obéissance à Dieu, etc. Et voilà, c'est toujours aussi pertinent et intéressant aujourd'hui cette « non réponse » à la question du port du voile !
D.S. : Au-delà de la liberté du citoyen, n’y a-t-il pas aussi celle de l’artiste ?
A.D. : Carrément, mais pour ces jeunes auxquels je faisais allusion, c'est un film qui est tellement ancré dans un sujet de société que l'artiste là-dedans, pfff ! Or, j'exprime des émotions, un désarroi, quelque chose en quoi je crois, mais je n'ai en rien le droit d'imposer, ni d'être péremptoire. L'artiste se permet juste un champ d'action plus large et plus généreux.
D.S. : L'animation étant ce qu’elle est, devrait-elle, selon vous, faire l'objet d'attentions plus spécifiques de la part des commissions attribuant des aides ?
A.D. : J'ai envie de dire qu’elle devrait être traitée de la même manière et être traitée avec une attention particulière. Pour l'instant, l'animation est moins facilement comprise : en général, la culture de la majorité des membres de ces commissions, ou même des académies, est fictionnelle. D’accord, il existe maintenant un Magritte de l'animation, mais je pense que 90% des votants sont dans la fiction, et ça a une influence. Alors, c'est délicat, parce que je n'aimerais pas mettre l'anim' dans un ghetto, donc c'est bien que ce soit ouvert. D’un autre côté, si les commissions sont moins aguerries à l’animation, elles le sont encore moins à l’animation jeune public dans laquelle mon parcours m’a amené à travailler. Depuis 5 ans, j'ai assez de mal à avoir de l'aide de la Fédération pour mes courts-métrages. Alors qu’A l'ombre du voile est passé quasiment du premier coup, parce que le sujet avait fort touché le public adulte. Signes de vie a eu du mal à passer, mais j'ai eu la chance d'avoir quelqu'un de très sensible à la danse contemporaine à la Commission et qui a vraiment bien défendu mon projet sous cet angle-là. Finalement, je crois que l'animation doit faire l'objet d'égalité, mais d'un apprentissage, parce qu’on est loin derrière en termes de culture.
Didier Stiers